Les images de carcasses fumantes de chars d'assaut sont impressionnantes. Les vidéos de batteries de missiles Grad tirant à l'aveuglette depuis des zones résidentielles font frémir. Le Donbass subit un déchaînement de violences inédites depuis les grandes offensives meurtrières de l'été. La situation sur le terrain reste confuse, jour après jour. Mais il est d'ores et déjà évident que la troisième tentative d'instaurer une trêve durable dans la région, initiée début décembre, s'est soldée par un nouvel échec sanglant. A en croire Andriy Lisenko, un des porte-parole des forces armées ukrainiennes, le territoire de l'ancien aéroport de Donetsk, que les rebelles avaient commencé à grignoter, a été «complètement nettoyé», dimanche 18 janvier. Les combattants de Kiev, surnommés «les cyborgs» par les médias et réseaux sociaux ukrainiens, auraient repris les positions perdues lors d'offensives séparatistes lancées début janvier, à grand renfort d'artillerie lourde, de chars d'assaut et de troupes fraîches. Une contre-attaque qui ne représenterait «pas une violation des accords de Minsk de septembre 2014» , dans la mesure où l'aéroport était alors une position des forces ukrainiennes, a précisé Andriy Lisenko.
L'ancien aéroport international, autrefois une position stratégique cruciale au nord de la capitale de la république populaire autoproclamée, est aujourd'hui complètement détruit. Il ne représente plus qu'un symbole, comme l'a précisé le président ukrainien, Petro Porochenko : «Si nous abandonnons cet aéroport, alors l'ennemi prendra ceux de Boryspil, à Kiev, ou même celui de Lviv !» Cet amas de ruines, tombeau à ciel ouvert de plusieurs centaines de combattants, n'est que l'un des points chauds de la ligne de front. La gare de triage de Debaltseve ou encore la centrale hydraulique de Schastie subissent également des bombardements d'une violence inédite, qui rompent une relative accalmie de Noël. Alors que les appels à une reprise des négociations de paix se multipliaient ces dernières semaines, la recrudescence des attaques serait un moyen, pour les dirigeants séparatistes, d'aborder de nouveaux pourparlers en position de force, voire de les retarder ou de les empêcher.
Explosion. Alexander Zakharchenko, chef de la république autoproclamée de Donetsk, et Igor Plotnitski, son homologue à Lougansk, ont dénoncé à de nombreuses reprises des négociations qui entérineraient la ligne de front comme une nouvelle frontière. Eux revendiquent leur souveraineté sur l'ensemble des régions de Donetsk et de Lougansk. Au-delà, environ un tiers du territoire ukrainien, de Kharkiv à Odessa, est inscrit dans le projet impérialiste de NovoRossiya («Nouvelle Russie»). Le risque d'explosion, voire de reprise d'une guerre de mouvement, semble donc bien réel, notamment depuis l'acheminement d'unités fraîches sur les champs de bataille.
Toutes les parties se déclarent ouvertes à de nouvelles négociations. Mais dans le même temps, Yuriy Biryukov, un conseiller du président Porochenko se dit prêt à «frapper les séparatistes dans les dents». Denis Pouchiline, un des dirigeants séparatistes à Donetsk, s'annonce déterminé à poursuivre les offensives, si besoin est. «L'escalade du conflit vise bien évidemment à annihiler les accords de Minsk», analyse le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Pavlo Klimkin. Selon lui, c'est la Russie qui est derrière ces offensives. Son but est d'obtenir de nouveaux atouts lors de futures discussions. L'implication du Kremlin est néanmoins difficile à estimer. La reprise rapide du territoire de l'aéroport de Donetsk par les soldats ukrainiens laisserait supposer que les troupes russes, bien entraînées et équipées, n'ont pas pris part à cette énième bataille, contrairement aux offensives d'août. Mais l'analyse de Pavlo Klimkin est visiblement partagée par les Occidentaux. Les dernières réunions de haut niveau ont été soit annulées, comme celles d'Astana (Kazakhstan) ou de Minsk (Biélorussie), soit se sont montrées improductives. Et Pavlo Klimkin d'envisager l'annulation d'une rencontre à Berlin, prévue le 21 janvier.
Hommage. L'avenir s'annonce sombre pour les populations du Donbass, prises en otage d'une guerre hybride à laquelle personne ne voit d'issue. D'autant qu'à l'intérieur du territoire ukrainien, une série d'attentats à la bombe, notamment à Odessa ou Kharkiv, entretient un climat d'insécurité grandissant. L'attaque contre un point de contrôle de l'armée ukrainienne dans le village de Volnovakha, au sud de Donetsk, le 13 janvier, qui avait frappé un autobus et tué 12 civils, a encore accru les incertitudes. Des milliers de personnes leur ont rendu hommage, dimanche, lors de marches pour la paix et contre le terrorisme en brandissant des pancartes «Je suis Volnovakha» , rédigées en français - clin d'œil aux manifestations parisiennes après l'attentat contre Charlie Hebdo. Pour les autorités ukrainiennes, les hostilités dans l'est du pays qui ont déjà fait près de 5 000 morts ne constituent pas une «guerre». Il s'agit d'une «opération antiterroriste», un vocable qui n'aide pas les deux parties à mettre leur différend à plat.