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Libération
Reportage

La gauche radicale aux marches du pouvoir grec

Syriza, coalition d’une quinzaine de partis antiaustérité menée par Aléxis Tsípras, est favori des élections législatives anticipées de dimanche. Un nouvel élan pour les surendettés de l’UE.
Aléxis Tsípras, durant un meeting à Athènes, le 22 janvier. (Photo Aris Messinis. AFP)
publié le 23 janvier 2015 à 20h06

En ce début janvier 2015, Syriza, la Coalition de la gauche radicale, s'est trouvé un allié inattendu : le vénérable Financial Times (FT), le journal préféré des traders de Londres et de Frankfort, a publié en quelques semaines une myriade de tribunes donnant la parole aux principaux représentants de ce parti, en passe de remporter les législatives de dimanche en Grèce, mais aussi à des intervenants extérieurs qui plaident en faveur des positions de la gauche radicale grecque. Dernière publication marquante en date, l'appel de quinze économistes réputés, dont le titre annonce le contenu : «Donnez une chance à la Grèce», enjoignent-ils, se prononçant pour un allégement de la dette. Un thème qui se trouve au cœur du programme de Syriza, qui a promis de renégocier avec Bruxelles et le Fonds monétaire international le fardeau de la dette et les mesures d'austérité dont l'efficacité est désormais largement questionnée.

Ce virage du FT fait sourire Yanis Varoufakis, super star de l'économie en Grèce, auteur de plusieurs livres à succès sur la crise grecque et candidat sur les listes de Syriza à Athènes. «Le Financial Time exprime l'angoisse du capitalisme pour sa survie», soutient-il, citant aussi Wolfgang Munchau le spécialiste des questions européennes au FT qui aurait déclaré : «Podemos [le parti antiaustérité espagnol, ndlr] et Syriza sont les seuls à parler sérieusement de la crise dans l'eurozone.» «Il ne l'a pas fait de gaîté de cœur, mais il a compris que nos propositions ne sont pas particulièrement gauchistes, juste raisonnables. Nous ne demandons pas d'avantage d'argent. On nous en a même donné trop ! Sauf qu'il est tombé dans un trou noir ! Nous en voulons moins, mais dans des conditions qui permettent à la population de respirer», explique-t-il, installé ce jour-là dans son appartement au pied de l'Acropole, à l'abri de l'agitation médiatique.

Inaliénables. Le vent a effectivement tourné en faveur de Syriza, longtemps dénigré comme une formation quasi hippie, regroupant onze formations de l'extrême gauche aux écolos, soupçonnées de ne jamais pouvoir s'entendre. Il y a encore six ans, ce parti, que les Grecs appellent «la gauche», les socialistes du Pasok étant de puis longtemps considérés de «centre gauche», ne récoltait que 4,6% des voix. Dimanche, il pourrait être appelé à former un gouvernement en obtenant de 32 à 35% des votes. Et même si certains s'en inquiètent, évoquent même une sortie de l'euro pour la Grèce ou rappellent que les mesures d'austérité sont inaliénables, le climat de panique qui prévalait encore lors des législatives de 2012, quand Syriza avait déjà le vent en poupe, n'est désormais plus de mise.

Pourtant, Varoufakis s'attend à un bombardement en règle : «Nous devrons agir dans un temps très court, sachant que nos prédécesseurs joueront la politique de la terre brûlée. Mais je ne fais pas plus confiance à l'Europe. Elle n'est pas encore prête à accepter ses erreurs. Dans les couloirs de Bruxelles, beaucoup sont d'accord avec moi. Et puis dès qu'ils rentrent dans la salle de réunion on se croirait au politburo ! C'est silence dans les rangs. Mais si un parti exprime publiquement une vue différente, alors les langues pourraient se délier. C'est notre espoir, la dernière chance aussi de l'Europe si elle ne veut pas finir comme l'URSS. Il va falloir se battre.»

Le langage guerrier et l'aspiration à incarner un nouveau rêve pour l'Europe font partie du credo de Syriza depuis 2012. «Mon pays est en guerre», considère aussi Rena Dourou. Cette blonde énergique de 40 ans a conquis l'Attique aux régionales de mai, devenant le premier responsable de Syriza à exercer des responsabilités importantes : la région de l'Attique, qui englobe Athènes, compte 3,8 millions d'habitants, soit un tiers des Grecs, pour une superficie «plus proche de la Belgique que de Malte», souligne la superpréfete qui aspire à restaurer une certaine «crédibilité» par une politique plus généreuse de services publics tournée vers le développement. Tout en rejetant l'idée de servir de «laboratoire» pour tester la capacité de Syriza à diriger le pays.

Galipette. «On ne peut pas comparer un gouvernement national avec la gestion d'une région, aussi importante soit-elle», plaide-t-elle, rappelant que depuis sa prise de fonction en septembre elle a «dû faire face à un gouvernement hostile [le gouvernement sortant dominé par les conservateurs de Nouvelle Démocratie, ndlr] comme aux impératifs de la Troïka (FMI, Banque centrale européenne et Commission européenne) qui contrôle aussi le budget des autorités locales en Grèce».

A son actif, en seulement trois mois, Rena Dourou a mis en avant un ambitieux programme de fonds «approuvé par l'UE», renforçant notamment la lutte contre la pauvreté, le retour de l'électricité prévu pour 38 000 foyers qui ne pouvaient plus payer les factures ou encore une remise en cause de la gestion désastreuse des ordures dans l'Attique. Mais visiblement les questions trop concrètes l'agacent. Et, déjà, certaines dents grincent dans les couloirs des instances régionales. «Elle fait surtout des effets d'annonce, comme si elle ne voulait fâcher personne, ni faire de faux pas avant les élections. Mais elle n'a confiance en personne, n'accepte pas la contradiction», confie un élu de la région, sous couvert d'anonymat. «Pour l'instant, elle n'a pas fait grand-chose, même si ce n'est pas facile», affirme ouvertement l'analyste politique Georges Seferzis, qui considère qu'il s'agit d'un bon exemple de confrontation à l'exercice du pouvoir. Qui annonce aussi ce qui attend Syriza une fois au pouvoir ?

Un mot revient souvent dans les conversations à Athènes ces jours-ci : «la kolotoumba», ou galipette. Celle que Syriza pourrait faire en revoyant ses ambitions à la baisse. «Cela dépendra en partie du climat en Europe : si Syriza arrive à surfer ou non sur le discrédit des politiques d'austérité», considère l'analyste. Avant d'ajouter : «Mais Syriza a un énorme avantage : d'ores et déjà les Grecs ont admis plus ou moins l'idée que toutes les promesses ne seront pas accomplies. Ils veulent surtout une pause, sans s'attendre forcément à une révolution.»