Professeur d'économie à l'Université libre de Bruxelles, membre du think tank Bruegel et ancien conseiller de Romano Prodi, président de la Commission européenne entre 1999 et 2004, André Sapir estime que Syriza est «peut-être la solution» pour réformer en profondeur la Grèce.
La politique d’austérité imposée par la zone euro et le Fonds monétaire international en échange de leur aide est-elle un succès ?
Les programmes irlandais ou portugais ont été des succès : ces deux pays, après avoir dû appeler à l’aide pour faire face à l’assèchement brutal des flux de capitaux, ont pu, au bout de trois ans, à nouveau se financer sur les marchés. La Grèce en est à son second programme et elle n’est toujours pas en mesure d’affronter seule les marchés. De plus, la Grèce a subi une forte augmentation du chômage et sa dette a explosé en dépit de sa restructuration de 2012. Il est donc difficile de parler de succès.
Mais de tous les pays aidés par la zone euro, c’est celui qui avait les problèmes structurels les plus profonds, tant sur le plan économique, social, politique que juridique. Néanmoins, elle s’approche de la sortie : petit à petit, elle va être en mesure de réemprunter. Donc mon appréciation est mitigée : ni succès ni échec.
Aurait-on pu éviter de couper à la hache dans le budget de l’Etat ?
Malheureusement les politiques d'austérité étaient inévitables : il fallait faire correspondre rapidement les dépenses aux recettes. Contrairement à des pays comme l'Espagne ou l'Irlande, la cause de la crise grecque est budgétaire et fiscale : c'est la mauvaise gestion par l'Etat de ses finances qui est largement responsable de ses difficultés, la crise générale de la zone euro ayant évidemment aussi joué un rôle. En revanche, on peut discuter de la façon dont ces politiques ont été mis en œuvre par le gouvernement. La lutte contre la fraude et l'évasion fiscale a-t-elle été suffisante ? Le cadastre est-il achevé ? L'administration est-elle devenue efficace ? La justice a-t-elle été réformée ? Etc. Toutes ces mesures figurent pourtant dans le «Memorandum of Understanding» listant les réformes à effectuer. C'est un des points forts de Syriza : son programme insiste sur la nécessité de réformer l'Etat en profondeur et pas seulement sur la nécessité de rediscuter de la dette. Ce parti joue sur le fait qu'il n'a pas été impliqué dans la mauvaise gestion de l'Etat grec et qu'il serait donc capable de le réformer à la différence des partis de gouvernement classiques.
La troïka a-t-elle commis une erreur en se focalisant sur les coupes budgétaires plus que sur la réforme de l’Etat ?
Elle a tenté de le faire, mais c’est resté insuffisant. C’est pourtant fondamental, car c’est la spécificité grecque par rapport aux autres pays de la zone euro qui ont été sous programme d’assistance. La Grèce a besoin d’autre chose que d’un programme traditionnel, car on n’est pas face à un simple problème de trésorerie : la crise a révélé un dysfonctionnement profond qu’on ne va pas régler en trois ans, comme on l’avait imaginé. Même en France, un pays où l’administration fonctionne, ça serait extrêmement compliqué pour des raisons politiques. J’estime d’ailleurs que la Banque mondiale aurait dû intervenir en Grèce au côté du FMI. L’Union a bien essayé de faire quelque chose en créant une task force afin d’aider le pays à se réformer, mais elle n’est pas dotée de suffisamment de ressources et elle a été mal accueillie du côté grec. Jamais les autorités de ce pays n’ont clairement reconnu qu’elles avaient fait des erreurs dans la gestion de l’Etat et que la crise était l’occasion de nettoyer les écuries d’Augias. Il aurait presque fallu créer un poste de commissaire européen chargé uniquement de mettre de l’ordre en Grèce, mais cela n’est pas possible dans le cadre politique européen actuel. Syriza est peut-être la solution, car il a ce discours de réformes en profondeur.
L’aide n’était-elle pas aussi destinée à sauver les banques européennes gorgées de dettes grecques ?
Au début de la crise grecque, les banques étaient extrêmement fragiles après la faillite de Lehman Brothers. La zone euro elle-même commençait à révéler ses fragilités, ce qui allait accroître le problème bancaire. L’aide européenne n’était donc pas uniquement destinée à sauver la Grèce, mais les banques et même l’ensemble de la zone euro. Le fardeau que supporte ce pays est donc dû, en partie, au manque d’instruments dont disposait la zone euro pour répondre à une crise systémique. Depuis, le Mécanisme européen de stabilité et l’Union bancaire ont été créés. C’est pour cela que la discussion sur la dette grecque me paraît pertinente.
Il serait donc logique d’alléger le fardeau d’une dette représentant 177% du PIB ?
Cette dette, détenue à 80% par les Etats de la zone euro, par le Mécanisme européen de stabilité et par le Fonds monétaire international, est soutenable compte tenu de la durée des prêts [de vingt-cinq à trente ans, ndlr] et des taux d'intérêt pratiqués [en moyenne 0,80%]. La difficulté est celle de sa diminution, car cela implique de dégager un surplus budgétaire primaire [c'est-à-dire hors intérêts de la dette] de 4,5% du PIB sur une longue période. Or la Grèce est incapable d'atteindre un tel objectif, à la différence de ce qu'ont pu faire la Belgique et l'Irlande. Cela nécessite un consensus politique et social qui n'existe pas en Grèce.
Il faut alléger cette dette, par exemple en allongeant la durée des prêts et en réduisant encore les taux d’intérêt sur certains prêts. En échange, Athènes devra mettre en œuvre des réformes de structure. C’est là-dessus que va porter la discussion avec Syriza. Il faut changer l’équilibre : moins d’austérité et plus de réformes structurelles. Ce sont elles qui vont augmenter la croissance et donc la capacité à faire face au remboursement.