L’animation musicale a été soignée. Dès l’entrée dans ce petit stade accolé au parc du Champs de Mars, dans le centre d’Athènes, une sono tonitruante accueille les visiteurs. De la pop grecque, bien sûr, mais aussi américaine, comme pour rendre hommage à la double culture du héros du jour, né aux Etats-Unis et héritier de la plus célèbre dynastie politique grecque. Avec un léger retard, comme toute rock star qui se respecte, le «fils de» finit par arriver dans une salle chauffée à bloc. «Pa-pan-dréou ! Pa-pan-dréou !» scande la foule des militants.
Georges Papandréou tenait mercredi son meeting athénien en prévision des législatives de dimanche. Une véritable résurrection pour l'homme qui a gouverné le pays entre 2009 et 2011, au moment du déclenchement de la crise de la dette en Grèce. Beaucoup ne lui ont pas pardonné d'avoir capitulé devant les exigences de Bruxelles et du Fonds monétaire international (FMI). Certains le soupçonnent même d'avoir feint la surprise en arrivant au pouvoir, lorsqu'il a annoncé que l'endettement du pays était bien pire que prévu. Lui qui avait fait campagne en déclarant : «De l'argent, il y en a.»
La dynastie Papandréou
Après un départ calamiteux du pouvoir en 2011, Georges Papandréou disparaît de la scène publique. Jusqu’à ce début janvier 2015 où il ressurgit soudain, pour annoncer à trois semaines des législatives, qu’il quitte le Pasok, le Parti socialiste grec fondé par son père Andreas. Pour créer une nouvelle formation, le Mouvement des démocrates socialistes (MDS), créditée d’à peine 2 à 3% des suffrages. Mais en Grèce, où la monarchie a été abolie tardivement en décembre 1974, les dynasties politiques gardent leur fan-club.
Dans le cas de «Giorgakis» (le petit Georges), c’est une affaire de trois générations : il y a d’abord eu le grand-père, le «grand» Georges, homme politique du centre très présent dans la vie politique grecque jusqu’à la dictature des Colonels en 1967. Puis le père, Andréas, opposant en exil durant la dictature, qui fonde le Pasok dès le retour de la démocratie, en 1974. Tribun charismatique, Andréas domine la vie politique grecque pendant quinze ans. En 1981, comme le Parti socialiste français, le Pasok accède enfin au pouvoir. Il dispose d’une base solide et récolte régulièrement 40% des voix, même s’il doit parfois céder le pouvoir (jamais pour très longtemps) aux conservateurs de Nouvelle Démocratie.
Radicalité et populisme
Mais cet âge d’or semble révolu. Le Pasok n’est même plus assuré de décrocher, dimanche, les 3% nécessaires pour envoyer des députés au Parlement. Et en quittant le parti dont il fut le président de 2004 à 2012, Georges l’héritier lui a asséné le coup de grâce. Tout en rêvant de récupérer un électorat déçu, mais encore fidèle.
Le vieux parti est désormais entre les mains du «gros». C'est le surnom, guère aimable, donné par ses adversaires à Evángelos Venizélos, l'actuel patron du Pasok moribond. Comme «Giorgakis» il y a fait toute sa carrière en assumant les diverses «révisions déchirantes». Elles ont commencé très tôt. Avant son arrivée au pouvoir en 1981, le Pasok était hostile à l'entrée de la Grèce dans la Communauté européenne et défendait une sortie de l'Otan. Il réclamait des changements radicaux et une redistribution des richesses. Mais la carte anti-européenne et anti-impérialiste est vite abandonnée. Certes le Pasok a longtemps moins ressemblé aux partis sociaux-démocrates européens qu'aux «mouvements socialistes-nationalistes arabes, comme le FLN algérien ou le Baas, à la différence près qu'il accepte le multipartisme», rappelle l'historien Nicolas Bloudanis (1). Mais l'exercice du pouvoir va finir par assagir le PS grec qui, sans lâcher la fibre populiste, abandonne peu à peu les postures révolutionnaires. «Aujourd'hui, on ne se souvient que du populisme et du laxisme économique. Mais il ne faut pas oublier que c'est le Pasok qui a introduit le divorce ou le mariage civil. C'est lui qui a développé un système de santé pour tous. Jusqu'en 1985, une femme qui voulait créer une entreprise devait encore demander l'autorisation de son père ou de son mari», tempère le journaliste Sotiris Koukios.
Une coalition mortifère
En réalité, la dégringolade du Pasok tient moins au bilan des années Andréas qu'à la gestion de la crise depuis 2010. Elu en 2009 avec 41% des voix, Papandréou Junior quitte le pouvoir deux ans plus tard sous les sifflets. Venizélos, à la tête du parti, œuvre en coulisses pour le pousser vers la sortie et accepte de partager le pouvoir avec les conservateurs de Nouvelle Démocratie. L'austérité inaugurée par Georges Papandréou, se poursuit avec son successeur que plus rien ne différencie de la droite. Les électeurs ne s'y retrouvent plus. «Venizélos est un homme très intelligent. Mais trop sûr de lui, qui n'écoute pas», constate l'analyste politique Georges Seferzis qui prédit la démission de Venizélos dans la foulée d'un échec historique de dimanche.
En meeting mercredi, dans un stade plus petit que celui de Giorg, Venizélos était soutenu par le même genre de partisans que ceux de Giorgakis : une classe moyenne souvent âgée, encore attachée, le temps d'une élection, à un parti «qui a modifié le visage de la Grèce» selon les mots de l'historien Nicolas Bloudanis. Avant d'entamer ce qui sera peut-être son dernier tour de piste. Les partis, comme les roses, n'ont rien d'éternel.
(1) «Faillites grecques : une fatalité historique ?», de Nicolas Bloudanis, éd. Xerolas, 2010.