Près de trente-six heures après la fin de son ultimatum, l'Etat islamique (EI) a probablement mis à exécution ses menaces en annonçant samedi la décapitation de Haruna Yukawa, l'un des deux otages japonais détenus en Syrie depuis l'été. Tokyo ne semblait plus douter ce dimanche de la «crédibilité des images», selon Shinzo Abe qui a condamné un «acte ignoble et impardonnable» avant d'appeler à la libération «immédiate» de l'autre otage, le journaliste Kenji Goto. L'Etat japonais n'a donc pas «cédé au terrorisme», comme il n'a pas cessé de le rappeler depuis le début de cette crise, nouvelle pour Tokyo. Il a refusé de verser l'exorbitante rançon de 200 millions de dollars (179 millions d'euros) - une première - exigée par l'EI.
«Sœur». Dans la vidéo diffusée dans la nuit de samedi au Japon, l'EI a d'ailleurs accusé Abe «d'avoir tué Haruna». Dans ce document de 2 minutes et 53 secondes, on voit apparaître une image fixe de Kenji Goto en habit orange sur fond blanc, tenant deux photos. La première montre le consultant en sécurité Haruna Yukawa à genoux dans un champ, la seconde expose une tête décapitée sur un corps allongé. Un message sonore, prétendument lu par Kenji Goto, s'adresse d'abord au Premier ministre : «Abe, vous n'avez pas pris au sérieux les menaces de mes ravisseurs et vous n'avez pas agi dans les soixante-douze heures.» La voix s'adresse ensuite à «Rinko, ma femme bien-aimée : ne laisse pas Abe faire la même chose pour moi. Toi, avec notre famille, nos amis et mes collègues de la presse indépendante, vous devez continuer à faire pression sur notre gouvernement. Leur demande est plus simple. […] Ils ne veulent plus d'argent, vous n'avez donc pas besoin de vous inquiéter sur le financement des terroristes.» Puis le message se poursuit en proposant un échange : «Ils réclament simplement la libération de leur sœur emprisonnée, Sajida al-Rishawi. […] Vous leur donnez Sajida et je serai libéré.»
Cette Irakienne détenue en Jordanie depuis 2005 a été condamnée à mort pour avoir participé à une série d'attentats dans la capitale jordanienne, qui avaient causé la mort de plus de 50 personnes. Les explosifs qu'elle portait à la ceinture ne s'étaient pas déclenchés. C'est précisément à Amman, dès le début de la crise, que Tokyo a dépêché l'un de ses émissaires, le vice-ministre des Affaires étrangères, Yasuhide Nakayama. Entouré de spécialistes de l'antiterrorisme, de diplomates et de policiers, il devait obtenir le soutien de la Jordanie pour établir un contact avec l'EI. Sans que l'on sache où ont mené ces tentatives. Après la fin de l'ultimatum, vendredi, le porte-parole du gouvernement admettait «n'avoir reçu aucun message particulier» de l'EI. Dimanche matin, Shinzo Abe déclarait à la chaîne NHK avoir «obtenu plusieurs informations» au sujet de Kenji Goto. Un contact a-t-il été établi avec l'organisation terroriste ?
Marchandage. Après la rançon de 200 millions, l'EI tend un nouveau défi aux Japonais en proposant un marchandage en forme de chantage. Dans une région que le pays méconnaît et où il a peu de relais, se lancera-t-il dans un pas de deux diplomatique avec la Jordanie pour obtenir la libération de son otage ? Dimanche, Tokyo a juré de «répondre fermement» à l'exécution de Haruna Yukawa, avant de rappeler qu'il «ne céderait jamais au terrorisme». En 2004, le Premier ministre Koizumi avait refusé le retrait d'Irak des forces d'autodéfense nippones en échange de la libération d'un jeune touriste. Al-Qaeda l'avait décapité.