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Libération
Interview

Nigeria : «Les combats sont de plus en plus proches»

Boko Haram, massacre à huis-closdossier
Abubakr Bachir Bakri, chef de mission de Médecins sans frontières au Nigeria, décrit la situation à Maiduguri, où affluent ceux qui fuient Boko Haram.
Des rescapés des massacres de Boko Haram font la queue pour récupérer des vivres, dans un camp de déplacés dans l'Etat de Borno, le 19 janvier 2015. (Stringer. Reuters)
publié le 29 janvier 2015 à 10h35

Boko Haram continue de gagner du terrain au Nigeria. Dimanche 25 janvier, outre la prise de Monguno à une vingtaine de kilomètres du lac Tchad, l’organisation islamiste a lancé une offensive contre Maiduguri, capitale de l’Etat de Borno, à 130 km plus au sud. Les soldats nigérians ont réussi à repousser l’attaque, après plusieurs heures de combat.

Difficile d'avoir des détails sur la situation tant la zone est dangereuse et les sources d'information peu nombreuses. Maiduguri, en temps normal habitée par plus d'un million de personnes, est dépassée par l'afflux de déplacés. Ce n'est pas la première fois que la ville est visée par Boko Haram. Le groupe de combattants resserre son étau sur la localité, lieu de naissance de l'organisation. Depuis le 3 janvier, date à partir de laquelle, durant plusieurs jours, a eu lieu ce qui restera peut-être comme le massacre le plus important de l'histoire de Boko Haram, à Baga et ses alentours, les rescapés arrivent par centaines de milliers à Maiduguri.

L'ONG Médecins sans frontières est présente dans le pays depuis 1996 et est revenue en 2004 après une interruption en 2001. En mai 2013, elle se déploie dans l'Etat de Borno puis se retire, déjà pour des raisons de sécurité. En août 2014, elle revient dans la région et s'installe de manière permanente à Maiduguri. L'organisation rencontre beaucoup de problèmes pour venir en aide aux populations locales. Une petite équipe reste cantonnée dans la ville. Abubakr Bachir Bakri, chef de mission de MSF, est basé à Abuja, la capitale. En contact permanent avec l'équipe de Maiduguri, il s'inquiète de l'évolution des événements.

Quelle est la situation à Maiduguri ?

Elle empire. Le nombre de personnes déplacées est en constante augmentation depuis les attaques du mois de janvier. D’après l’agence régionale de secours (Nema), au moins 400 000 personnes se seraient réfugiées à Maiduguri. Certains parlent d’un million, mais il faut être prudent avec les chiffres. Il y a surtout des femmes et d’enfants. Certains ont perdu leurs parents, sont très malades et ont un besoin urgent de soins, de nourriture.

Avez-vous stoppé vos activités dans la ville à cause des attaques de dimanche ?

Non. A l’intérieur de la ville, nous n’avons jamais stoppé nos activités. Notre équipe, composée de deux médecins et trois infirmières, est toujours opérationnelle sur le terrain. Cependant, nous n’intervenons plus en dehors de Maiduguri, dans le reste de l’Etat de Borno. C’est trop dangereux. Jusque-là, nous travaillions dans des cliniques à l’extérieur de la ville. Nous étions encore à Monguno vendredi, juste avant l’attaque.

Comment s’organise la prise en charge des déplacés ?

Nous intervenons dans des hôpitaux déjà existants. Il y en a trois principaux dans la ville. Mais aussi dans les centres d’accueil qui ont été mis en place pour les personnes déplacées. Il y en a dix, dont trois équipés d’une clinique. Beaucoup sont situés dans des bâtiments publics, comme des écoles par exemple. Mais ces bâtiments ont été prévus pour accueillir un nombre maximal de personnes, ce qui pose des problèmes d’organisation et d’hygiène. Nous manquons de commodités [toilettes, douches, etc.], mais aussi d’eau potable. Nous faisons des opérations de désinfection au chlore. Entre septembre et décembre 2014, nous avons fait face à une épidémie de choléra. Environ 7000 cas avaient été traités. Il y a donc toujours la crainte d’une nouvelle flambée, vu la situation sanitaire.

La sécurité est-elle assurée à l’intérieur de la ville ?

La sécurité est notre principal défi. La ville est relativement sûre à l’intérieur, par rapport à l’extérieur. Mais autour de Maiduguri, les combats sont de plus en plus proches, de plus en plus intenses. Il y a quatre axes routiers principaux. Un seul est encore ouvert. Les autres sont fermés depuis longtemps, pour des raisons de sécurité. Il y a eu deux attaques à la bombe en janvier 2015 et cinq en 2014.

Notre équipe n’est pas totalement enfermée, elle peut sortir de la ville, mais il faut deux jours pour faire le trajet jusqu’à Abuja et la route est très dangereuse. Il y a beaucoup d’attaques. Les vols commerciaux sont supprimés depuis au moins un an, ce qui complique tous nos déplacements.