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Libération

Cinquante ans après, Londres rejoue les funérailles de Churchill

publié le 30 janvier 2015 à 20h06

Il manquait les grues tristes. Il y a cinquante ans, le 30 janvier 1965, à 12 h 45 exactement, le navire Havengore glissait lentement sur les eaux de la Tamise, sous les deux bras levés du célèbre Tower Bridge. Sur sa proue, dans un cercueil drapé de l'«Union Jack», reposait la dépouille de Sir Winston Churchill, mort à 90 ans, six jours plus tôt. Sur les rives, une foule immense se recueillait. Et, juste après Tower Bridge, les grues des docks de South Bank pleuraient. Dans un ballet extraordinaire, retransmis en direct devant 350 millions de téléspectateurs à travers le monde, les dockers abaissaient une à une les têtes de leurs grues, en hommage au grand homme.

Des immeubles luxueux ont depuis longtemps remplacé les engins. Mais vendredi, le Havengore, avec à son bord les descendants de Churchill, a répété le même trajet. «Le Royaume-Uni a été extrêmement heureux qu'à notre heure la plus désespérée se présente à nous le plus grand de nos hommes d'Etat», a écrit le Premier ministre, David Cameron. Dans une débauche de dépôts de gerbes, défilés, hommages multiples, émissions spéciales, DVD exceptionnels et biographies inédites, le Royaume-Uni a célébré en grande pompe l'anniversaire des funérailles de Winston Churchill. La France aussi a rendu hommage à son ancien allié, notamment en baptisant «lycée international Winston-Churchill» un établissement à Londres, qui ouvrira ses portes en septembre.

Mais pourquoi célébrer un enterrement et pas la date d’un décès ? Probablement parce que ces funérailles d’Etat, spécialement demandées par la reine Elisabeth II, restent un exemple du genre, un événement presque mythique : la moitié de la population britannique (25 millions de personnes) scotchée devant son téléviseur, 112 pays représentés. Le monde s’inclinait devant un symbole de liberté.

Même le syndicat des instituteurs avait alors renoncé à une grève. Après le bateau, le cercueil, fabriqué dans le bois d’un chêne du domaine de Blenheim Palace, non loin d’Oxford, où Churchill était né en 1874, avait été transporté par train jusqu’au cimetière de Bladon, près de son lieu de naissance, dans le centre du pays. Peu avant sa mort, son épouse, Clémentine, l’avait convaincu de renoncer à son idée initiale d’être inhumé sur le terrain de cricket de leur maison de campagne de Chartwell, dans le Kent.

Vendredi, c’est bien «Churchill le patriote», celui qui refusa d’abandonner devant les nazis, qui était célébré. La très longue carrière - plus de soixante ans - parfois chaotique d’un homme au caractère bien trempé, deux fois Premier ministre, est passée au second plan. Seul restait l’image projetée d’un pays fier, vainqueur de la tyrannie. Alors que la mort de Churchill, en 1965, coïncidait avec la fin de l’Empire britannique, d’une certaine idée de toute-puissance. Le conservateur Boris Johnson, qui ne cache plus son ambition de devenir un jour Premier ministre, vient d’écrire un livre sur Churchill. Et l’une des petites-filles de ce dernier, Emma Soames, a estimé que le maire de Londres était doté de certaines des qualités de son grand-père, l’humour féroce, le don de la réplique et de l’écriture. David Cameron a dû apprécier.