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Libération
Décryptage

L’impossible cessez-le-feu

Promis à l’échec, les accords de Minsk, signés en septembre, n’auront tenu que quelques semaines. 200 personnes été tuées cette semaine.
Des officiers de la police ukrainienne, à Kharkov, le 30 janvier 2015. (photo Sergey Bobok, AFP)
publié le 30 janvier 2015 à 19h36
(mis à jour le 31 janvier 2015 à 10h09)

Plus de 200 personnes ont été tuées en une semaine dans l’est de l’Ukraine, où le cessez-le-feu conclu le 5 septembre dans le cadre des accords de Minsk n’est plus qu’un souvenir. Le bilan a atteint les 5 000 morts fin janvier et il est sans doute partiel car nulle partie en conflit ne déclare jamais la totalité de ses pertes. Commencée il y a près d’un an, au lendemain de la chute du président prorusse Viktor Ianoukovitch, destitué le 22 février 2014 sous la pression de la rue pro-européenne, la guerre en Ukraine s’annonce de longue haleine et de plus en plus sanglante.

Que disent les accords de Minsk ?

En septembre, la représentante de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), un ex-président ukrainien et l’ambassadeur russe en Ukraine signaient à Minsk, en Biélorussie, un protocole d’accord prévoyant un cessez-le-feu et la libération des prisonniers. Kiev s’engageait à accorder un statut spécial aux régions rebelles et à y organiser des élections locales. Les groupes armés illégaux devaient quitter l’Ukraine. Sur le terrain militaire, l’application du cessez-le-feu devait être surveillée par l’OSCE, laquelle était également supposée effectuer un suivi de la situation à la frontière russo-ukrainienne. Les deux parties devaient fixer une ligne de désengagement à partir de laquelle ils retireraient leurs armes lourdes de 15 km de part et d’autre, créant ainsi une zone tampon démilitarisée. Toutes ces mesures étaient conçues comme un prélude à la reprise du dialogue. Mais, à part une trêve relative de quelques semaines dans les combats et des échanges de prisonniers (stock renouvelable à loisir, de nouveaux heurts entraînant de nouveaux captifs), rien de tout cela n’a été réalisé.

Pourquoi les accords de Minsk ont-ils échoué à arrêter les combats ?

Parce qu'aucune partie n'a, ni de près ni de loin, atteint ses buts de guerre. Loyalistes et rebelles avaient besoin de passer l'hiver au chaud. Ils ont tiré parti de la trêve pour organiser leurs élections et consolider leur pouvoir. Kiev s'est doté d'un nouveau gouvernement pro-européen et les tendances prorusses ont pratiquement disparu du Parlement. Les séparatistes, de leur côté, ont rejeté le statut spécial que Kiev leur a offert par une loi. Optant pour l'indépendance, ils se sont choisis de nouveaux leaders à l'issue d'un scrutin qualifié d'«illégal» par Kiev. Décidé à rompre avec Moscou au profit de l'Union européenne et de l'Otan, Kiev veut le départ des militaires russes de l'est du pays (soit 9 000 soldats, selon le président Petro Porochenko), que le Kremlin dément avoir envoyé, en dépit de toutes les fuites sur les morts de soldats d'active sur les fronts d'Ukraine de l'Est. Les rebelles, eux, veulent la reconnaissance de leur nouvel Etat. Dans ses frontières de septembre, celui-ci, baptisé Novorossia (Nouvelle Russie), rassemble à peine 50% du territoire des régions de Donetsk et Lougansk. Dans la logique indépendantiste, il va lui falloir s'étendre s'il veut s'imposer.

Comment la reprise du conflit s’est-elle opérée ?

C’est l’aéroport de Donetsk qui a cristallisé les désaccords. Pointe loyaliste avancée en territoire rebelle, il était une épine dans le pied de la DNR (la «république populaire de Donetsk» qui, avec celle de Lougansk, forme la Novorossia). L’éliminer offrait à la DNR le moyen de sécuriser la ville (hors de portée des missiles), mais aussi la possibilité de conserver des installations militaires dans la ville soustraite de la future zone tampon. Après une première avancée rebelle, Kiev a riposté. Pour des raisons de politique intérieure, le gouvernement ne pouvait apparaître comme incapable (encore une fois, après les défaites d’août qui ont vu les rebelles arriver aux portes de Marioupol) de défendre sa souveraineté territoriale. Après un premier succès mi-janvier, le régime a échoué et a dû complètement retirer ses troupes. Kiev a perdu militairement, même s’il a réussi à remobiliser la communauté internationale. Cette dernière n’a rien pu empêcher. Les drones de l’OSCE censés surveiller la frontière sont souvent pris pour cible et, entravée par la Russie, l’organisation internationale n’a jamais pu contrôler plus de deux postes-frontières. Ce sont les civils qui paient le prix fort : 13 morts dans un bus à Volnovakha, 13 autres dans un trolleybus à Donetsk, 30 dans un bombardement à l’aveugle à Marioupol.

Et la Russie dans tout ça ?

Touchée par la très défavorable conjonction de la baisse du prix du pétrole et des sanctions internationales, la Russie avait très longtemps cru qu'elle réussirait, comme cela avait été le cas lors de la guerre du gaz avec l'Ukraine dans les années 2000, à diviser les Occidentaux, chacun préférant ses propres intérêts économiques plutôt que la survie de l'Ukraine. La seule chose que Moscou n'a jamais pensé faire, c'est céder aux injonctions, qu'elles viennent de Bruxelles, Washington, Paris ou Varsovie. Les accords de Minsk dans l'impasse, le Kremlin devait se décider à bouger, car tout enlisement pouvait lui aliéner le soutien de sa population, qui accepte de souffrir mais attend des résultats. Comme par exemple la création d'un couloir terrestre vers la Crimée, qui implique la prise de Marioupol. Pour Moscou, l'enjeu reste la puissance russe, qu'elle exerce dans les faits contre les forces armées ukrainiennes, mais en réalité contre l'Occident, l'armée ukrainienne étant même qualifiée par Poutine de «Légion étrangère de l'Otan».