Jeffrey Mankoff (photo DR), spécialiste de la Russie et de l’Eurasie, est directeur adjoint du Center for Strategic and International Studies (CSIS), think-tank de référence à Washington sur les questions de sécurité internationale. Lui plaide pour une
«stratégie plus globale»
face à Moscou.
La nouvelle offensive des séparatistes va-t-elle changer l’attitude des Etats-Unis?
Ces événements vont surtout permettre le renforcement de la politique de sanctions américaines vis-à-vis de la Russie. La question de les alléger n’est plus du tout au programme. Mais je ne crois pas que cela entraîne un vrai changement politique. La pression monte, mais le président Obama semble toujours réticent à aller plus loin.
Dimanche dernier, Barack Obama a pourtant annoncé qu’il allait examiner «toutes les options possibles, à l’exclusion de la confrontation militaire», pour résoudre ce conflit. Comment interprétez-vous cette déclaration ?
Le Président laisse la porte ouverte à de nouvelles actions, en particulier à l’assistance militaire aux Ukrainiens. Cela crée, du côté de Moscou, une incertitude, une menace. Le but est que ce climat amène la Russie à prendre plus de précautions. Mais rien n’est encore fait.
Ces événements ne sont-ils pas une nouvelle preuve de l’inefficacité de la politique de sanctions ?
Le but de ces sanctions est de créer des difficultés économiques pour la Russie. Là dessus, elles sont efficaces. Le problème, c’est que la Russie donne plus de valeur à ses intérêts géostratégiques en Ukraine qu’aux effets économiques de ces sanctions. Celles-ci n’ont pas réussi à changer l’attitude de Vladimir Poutine. C’est pourquoi je crois qu’elles doivent n’être qu’une composante d’une stratégie plus globale.
Quel type de stratégie ?
La première chose à faire, c’est d’aider l’Ukraine à sortir la tête de l’eau d’un point de vue économique, afin que le pays soit moins vulnérable. L’Union européenne devrait être proactive dans ce domaine, aider l’Ukraine à éviter le défaut de paiement et à remettre son économie sur les rails. C’est la clé pour permettre une vraie transition politique. La deuxième chose, c’est d’apporter une aide militaire à l’Ukraine, afin que le pays puisse assurer lui-même sa sécurité. Je pense que les Etats-Unis devraient, avec l’Otan, s’engager dans cette voie, afin que l’Ukraine ait les capacités de répondre aux provocations russes, aux éventuelles cyber-attaques ou chantages. La Russie teste jusqu’où elle peut aller. Si rien n’est fait, ce sont tous les autres pays, comme la Lettonie, l’Estonie, qui peuvent se sentir menacés et perdre confiance dans la capacité de l’Otan et des Etats-Unis à les protéger. Réduire l’influence de la Russie dans ces pays devrait être une priorité pour l’Otan - même si je ne crois pas que le moment soit venu pour un déploiement militaire.
L’idée d’armer les Ukrainiens est-elle partagée au Congrès ?
De nombreux législateurs y sont favorables, mais je ne crois pas qu’une proposition de loi proposant de l’assistance militaire n’arrive à passer pour le moment, sans même aller jusqu’à un éventuel veto du Président.
Pourquoi la Maison Blanche est-elle réticente à armer les Ukrainiens ?
La peur de l'escalade. La crainte qu'apporter une assistance militaire soit perçue comme une provocation par la Russie et mène à un conflit dangereux entre les deux pays. C'est pourquoi les Etats-Unis se sont contentés d'une aide discrète à l'Ukraine, sous le radar. L'autre raison à cette réticence est liée à l'Iran. La Russie a été relativement constructive dans le cadre des négociations cruciales menées en ce moment entre les Etats-Unis et l'Iran sur le nucléaire [auxquelles Russie, France, Royaume-Uni, Allemagne et Chine prennent aussi part, ndlr]. Une intervention plus forte en Ukraine pourrait saborder la volonté de la Russie de coopérer.