«La décapitation pour les blasphémateurs ! Mumtaz Qadri, héros du monde musulman, Allah akbar !» Des slogans violents scandés par des centaines de manifestants proches des partis islamistes et, face à eux, des policiers antiémeute et des snipers sur le toit du tribunal : le ton a été donné, mardi, à l'ouverture du procès en appel d'une des affaires les plus sensibles du Pakistan, celle du tueur Mumtaz Qadri.
Son rictus triomphal face aux médias et ses cris de victoire après son crime hantent depuis des années la minorité libérale du Pakistan. Terroriste odieux pour les uns, héros de la défense de l'islam pour beaucoup d'autres, cet ex-policier d'élite avait été condamné à mort fin 2011 par un tribunal antiterroriste pour avoir assassiné, en janvier 2011, un haut responsable politique, le gouverneur du Pendjab Salman Taseer. Alors garde du corps de Taseer, Qadri l'avait criblé de balles devant un café d'Islamabad, et revendiqué son geste, perpétré pour «punir» cette figure libérale de ses déclarations favorables à une réforme de la loi sur le blasphème.
«Le monde entier pense que mon frère a fait ce qu'il fallait, tout blasphémateur mérite d'être tué», a déclaré mardi à Libération en marge de la manifestation le frère de Mumtaz Qadri, Malik Mohammad Safir. «Dans tous nos villages, il y a un Qadri ! Honte à vous, relâchez Qadri !» hurlent les manifestants devant la Haute Cour d'Islamabad.
Dans la salle d’audience pleine à craquer, les pressions continuent. D’un côté, la famille de Qadri et plusieurs dizaines d’avocats volontaires pour défendre le meurtrier, dont deux ex-juges éminents. De l’autre, un seul avocat gouvernemental, représentant l’accusation. La famille Taseer, elle, n’est pas venue en raison des risques.
Abus. La loi sur le blasphème, sujet explosif dans la République islamique, qui prévoit la prison à vie ou la peine de mort pour les condamnés, est défendue viscéralement par les islamistes. Taseer avait dénoncé les abus de cette législation en défendant la cause d'Asia Bibi, paysanne chrétienne condamnée à mort en 2009 pour blasphème.
Des manifestations anti-Charlie Hedbo ont lieu régulièrement depuis la parution de la dernière caricature de Mahomet dans l'hebdomadaire satirique. Lundi, un député pakistanais a même offert 200 000 dollars de récompense à quiconque tuerait le propriétaire de Charlie Hebdo, et proposé de donner 100 000 dollars aux familles des frères Kouachi et d'Amedy Coulibaly, auteurs des attentats de Paris.
Ces dernières années, le nombre de condamnations pour blasphème a explosé au Pakistan. La loi est souvent manipulée pour régler des disputes privées, ou viser libéraux et minorités religieuses. Avocats et juges subissent des pressions intenables. Le juge qui a condamné Qadri en première instance s’est d’ailleurs exilé à l’étranger pour ne pas être assassiné comme d’autres collègues…
Le procès en appel se déroule aussi dans un climat tendu. L'avocat général, censé représenter l'accusation, ne s'est ainsi pas présenté mardi. Il y a quelques jours, on apprenait que le dossier Qadri avait «disparu» de son bureau… «Je redoutais ce genre de déroulement, on est inquiets, a confié à Libération Shehryar Taseer, 29 ans, l'un des fils de Salman Taseer. Le gouvernement ne prend pas notre affaire au sérieux.» La famille Taseer a été durement éprouvée puisque le frère aîné, Shahbaz, kidnappé en août 2011, est otage des talibans depuis.
faveur. Malgré ses promesses d'en finir avec le terrorisme après l'attaque par des talibans d'une école à Peshawar en décembre (153 morts dont 134 écoliers), le Premier ministre, Nawaz Sharif, fragilisé, ne semble pas prêt à affronter les groupes extrémistes. «Ce gouvernement n'offre absolument pas un environnement favorable à une justice libre dans ces affaires de blasphème», déplore Mohammad Nafees, chercheur spécialiste de cette question. L'avocat et défenseur des droits de l'homme Shahzad Akbar dénonce, lui, les «tactiques de pression et de politisation» des avocats censés représenter la loi… Le chercheur déplore «qu'une large partie de la population soutienne Qadri et justifie son crime par une obligation morale de défense de la foi» face à un prétendu blasphémateur, alors qu'il n'a jamais été prouvé que Taseer eut tenu de tels propos.
Ces dernières années, des mosquées ont été rebaptisées en hommage à Mumtaz Qadri. Une enquête interne dans la prison où il est détenu près d'Islamabad a révélé le traitement de faveur dont il bénéficie. «Il dit être très content en prison, il prie beaucoup», confirme son frère. Pire, Qadri a aussi radicalisé plusieurs hommes affectés à sa surveillance. L'un de ses gardiens, qui a avoué avoir «suivi les leçons religieuses» de Qadri, a ensuite tiré en 2014 sur un détenu de 70 ans condamné à mort pour blasphème, le blessant gravement.
L'épuisement des procédures d'appel pourrait durer des années. Et rare sont ceux qui pensent que le gouvernement, soucieux de ménager un électorat volontiers islamiste, se risquera à faire exécuter Qadri. Le tueur continuera sans doute encore longtemps à être le «roi» de sa prison.