Ils ont fait un périple de plus de 10 000 kilomètres. Ils sont seize, Irakiens yézidis, hommes et femmes d’une trentaine d’années, originaires de villages de la région de Mossoul,
[ où l’Etat islamique fait régner sa loi depuis l’été dernier ]
. Début août, ils sont partis. Six mois plus tard, ils se retrouvent en Guyane, après être passés par la Turquie et le Brésil, tout cela dans l’optique de rejoindre l’Allemagne, où ils ont de la famille. Le 25 janvier, ils ont été interpellés à Cayenne par la police aux frontières, alors qu’ils étaient en partance pour Paris avec de faux passeports.
«Toute notre histoire s’est effacée»
Adeptes d'une religion préislamique qui leur vaut d'être assimilés à des adorateurs du diable par l'Etat islamique, les yézidis risquent une mort presque certaine en Irak ou, pour les femmes, l'esclavage sexuel, depuis que leur région, le Sinjar, est passée sous la coupe jihadiste. «Le 3 août 2014, tout le monde dormait quand Daech est rentré chez nous. Nous avons pensé qu'il fallait partir. On est sortis de chez nous le même jour. En une nuit et une journée, toute notre vie et toute notre histoire en tant que yézidis se sont effacées», témoigne l'un des seize, interrogé par France-Guyane. Comment ont-ils plus tard été mis par des passeurs dans un avion pour le Brésil ? Le récit encore lacunaire de leur parcours rocambolesque est en train d'être recueilli par les associations sur place.
En juillet, le gouvernement français se disait favorable à l'accueil, au nom du droit d'asile, des minorités persécutées d'Irak. Mais après leur interpellation, ces seize Yézidis ont été placés quarante-huit heures en garde à vue, puis assignés à résidence, sans avoir été informés de leurs droits, et menacés d'expulsion vers le Brésil, selon la Cimade, association d'aide aux réfugiés. «Si l'administration française ne fait rien, demain, ces gens se retrouveront à la rue, alerte, à Cayenne, Lucie Curet, qui coordonne les actions de la Cimade en rétention outre-mer. Ils sont très éprouvés. Leur parcours, certes atypique, illustre les dysfonctionnements de la prise en charge des candidats à l'asile et de l'application de ce droit d'asile.»
«La porte leur est ouverte en France»
Pourtant, les yézidis qui cherchent refuge en France bénéficient en principe d'une procédure accélérée, assure l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). «Nous portons une attention toute particulière aux minorités religieuses d'Irak, certifie Pascal Brice, directeur général de l'Ofpra. Depuis l'été, au moins 900 personnes sont arrivées en France. Le nombre de yézidis est assez restreint, mais il augmente, car ils arrivent désormais davantage à rejoindre les consulats à Erbil, en Turquie, ou à Bagdad, en Irak.» Là, ils peuvent demander un visa dit pour l'asile. «Quand il leur est délivré, ces personnes rejoignent la France, où on leur accorde, sur dossier et sans qu'elles aient à se déplacer à Fontenay-sous-Bois [à l'Ofpra], le statut de réfugié dans 100% des cas. L'objectif est de les protéger rapidement.»
Elisabeth Gobry, vice-présidente de l'Association d'entraide aux minorités d'orient (Ameo), confirme : «La porte leur est ouverte en France. La procédure est rapide. En revanche, la prise en charge de ces réfugiés repose ensuite entièrement sur le tissu associatif. Beaucoup de ces yézidis sont logés dans des résidences secondaires que leur prêtent des gens sensibles à leur cause, souvent chrétiens, ou juifs.»
Pour les yézidis de Guyane, l’Ofpra promet un règlement rapide de leur situation. Leur demande d’asile est en train d’être préparée, pour être présentée à une équipe de l'Ofpra dépêchée sur place la semaine prochaine.