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Libération
Interview

«La stratégie de l'Etat islamique est de surenchérir dans la terreur»

En suppliciant par le feu le pilote jordanien, le but de l'EI est de discréditer les autres groupes jihadistes. Les explications de la chercheuse Myriam Benraad.
Activists carry posters with a portrait of the Jordanian pilot Maaz al-Kassasbeh, who was captured by Islamic State (IS) group militants on December 24 after his F-16 jet crashed while on a mission against the jihadists over northern Syria, during a rally calling for the release of Al-Kassasbeh in the Jordanian capital Amman on February 3, 2015. Jordan vowed to do all it could to save the pilot held by IS after the jihadists killed a Japanese journalist they had been holding. IS has been demanding the relea (Photo Khalil Mazraawi. AFP)
publié le 4 février 2015 à 12h46

Lundi, l’Etat islamique (EI) est allé encore un peu plus loin dans la barbarie en diffusant une vidéo montrant la mise à mort par le feu, dans une cage, du pilote jordanien Maaz al-Kassasbeh, capturé en décembre alors qu’il participait à la coalition internationale antijihadiste. Pourquoi ? Et quel est le risque de déstabilisation en Jordanie, royaume sunnite ? L’éclairage de Myriam Benraad, chercheuse sur le Moyen-Orient à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam). Elle publie la semaine prochaine Irak, la revanche de l’histoire. De l’occupation étrangère à l’Etat islamique (éditions Vendémiaire).

(Photo DR)

Comment expliquer le changement de mode opératoire de l’Etat islamique dans la mise à mort de ses otages ?

Les attentats en France ont relancé la rivalité entre Al-Qaeda et l'Etat islamique — les frères Kouachi se disaient mandatés par Al-Qaeda dans la péninsule arabique, tandis qu'Amedy Coulibaly avait déclaré appartenir à l'Etat islamique. Pour l'EI, il s'agissait donc de faire un «gros coup» pour revenir sur le devant de la scène. Leur stratégie a toujours été de déclasser les autres groupes jihadistes en surenchérissant dans la terreur. Aussi horrible à dire que cela puisse paraître, il y a eu une «banalisation» de la décapitation par l'Etat islamique. Supplicier par le feu ce pilote musulman, qui était en opération au nom de la coalition, donc traître ultime à leurs yeux, a bien pour but de marquer les esprits, dans un contexte de renforcement des frappes de la coalition.

Au passage, on voit bien que tout le discours de l'Etat islamique sur d'éventuelles négociations avec l'Occident, sur le pilote comme sur les otages japonais, n'était que du bluff. Ils ont tenté de faire croire qu'il y avait de la place pour un dialogue, alors qu'ils sont dans une logique absolue de jusqu'au-boutisme.

L’Etat islamique est-il présent en Jordanie ?

Oui. Il y a des cellules dormantes, un réseau de sympathisants. Beaucoup des combattants de l’Etat islamique sont aussi Jordaniens. Par ailleurs, n’oublions pas que le fondateur d’Al-Qaeda en Mésopotamie, Abou Moussab al-Zarqaoui, tué dans un bombardement américain en 2006, était Jordanien. Le Levant, ensemble territorial que revendique l’Etat islamique, inclut la Jordanie. Pour eux, la Jordanie fait déjà partie du califat, il ne s’agit plus que de renverser le pouvoir. D’autant plus que la Jordanie fait partie de la coalition anti-EI. On en revient au but premier de l’Etat islamique : renverser les pouvoirs mécréants.

Y a-t-il une vraie menace de déstabilisation en Jordanie, qui a répondu à l’assassinat du pilote en exécutant la jihadiste irakienne Sajida Al-Rishawi, réclamée par l’EI ?

L'Etat islamique ne se soucie pas une seconde de cette Irakienne. Mais son exécution peut servir de prétexte à des représailles. On peut s'attendre à des attentats. L'Etat islamique à l'habitude de provoquer, pour entraîner une riposte, qui elle-même justifie une escalade de la violence. Ils veulent un conflit à mort, quel qu'en soit le coût. Ils livreront bataille jusqu'au bout. Il suffit de voir Kobané, en Syrie : la ville a été réduite à néant.

Que peut faire le pouvoir jordanien ?

Il va falloir une réponse ferme des autorités, mais surtout, il va falloir une réponse régionale coordonnée. Pour le moment, chacun des pays voisins joue la carte de ses intérêts propres. Or ils auraient tous intérêt à se mobiliser. L'Arabie saoudite, la Turquie, l'Egypte, la Jordanie… Il faut un réveil du monde musulman sunnite contre l'Etat islamique. Il y a aussi la question de l'Iran qui, sous couvert d'être un stabilisateur, alimente en réalité la réaction sunnite radicale, donc la surenchère.