Depuis la mi-janvier, le puissant parquet anticorruption roumain revient en force. Un ancien ministre de l'Economie soupçonné d'abus de pouvoir placé en garde à vue, un grand patron de médias accusé d'évasion fiscale qui dort en prison, un juge de la Cour constitutionnelle poursuivi pour corruption, sans parler de la chef du parquet chargé de la criminalité organisée qui a passé les fêtes derrière les barreaux… Anciens ministres, hommes d'affaires ou magistrats se retrouvent parfois dans la même cellule spartiate en attendant les décisions de la justice. Qui tombent comme un couperet : vingt-deux ans de prison pour un juge qui a trafiqué ses décisions, entre quatre et cinq ans pour deux anciens ministres coupables d'avoir dévoilé des secrets du processus de privatisation… En tout, une dizaine d'anciens ministres ont été condamnés à de la prison ferme et la liste s'allonge grâce au nouveau code pénal, qui prévoit des réductions de peine pour les «coopérants» livrant leurs complices ou révélant leurs malversations. Ainsi, l'ancien ministre de la Communication Gabriel Sandu affirme avoir versé 5 millions d'euros aux chefs du Parti démocrate afin de bénéficier de son poste.
La palme des déclarations sensationnelles revient à Elena Udrea, ancienne ministre du Tourisme dont le mandat est arrivé à terme fin décembre. Dans une interview au site Hotnews, elle accuse l’actuel patron rouman du renseignement intérieur d’avoir réclamé 500 000 euros à son mari pour le financement d’une télévision privée. Mise aussi en accusation pour blanchiment, Udrea mouille pêle-mêle politiques, magistrats, hommes d’affaires… De l’avis des observateurs, le déballage ne fait que commencer, avec des dossiers qui vont toucher les grandes privatisations des dernières années, et toute la classe politique, gauche et droite confondues, risque d’en souffrir.
Jadis réputée pour le niveau élève de sa corruption, la Roumanie est devenue en quelques années un des champions européens de la lutte contre ce fléau. Ses efforts sont d'ailleurs soulignés dans un rapport de la Commission européenne publié fin janvier, et le nouveau président roumain, l'austère Klaus Iohannis, a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. Certains craignent cependant que ces actions menées devant les caméras de télévision ne transforment le pays en «république des procureurs». «Il ne faut pas oublier que l'opération "Mains propres" en Italie a abouti à l'arrivée au pouvoir de Silvio Berlusconi», s'inquiète la journaliste Ioana Lupea. «Oui, rétorque un diplomate occidental, mais avec son style mesuré, presque rigide, Klaus Iohannis est le personnage le plus anti-Berlusconi qui puisse exister et il sera l'homme fort du pays pour au moins cinq ans.»