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Femme jihadiste, sois pieuse et tais-toi

La brigade al-Khansa, milice féminine de l'Etat islamique, a publié un «manifeste» à l'usage des femmes rejoignant le groupe.
La photo d'une toute jeune Française partie en Syrie il y a plusieurs mois. Les mains sont celles de son frère. (Photo Christian Hartmann. Reuters)
publié le 5 février 2015 à 17h57

«Tout comme les hommes, les femmes ont été créées pour peupler la terre. Cependant, par la volonté de Dieu, elles sont faites par Adam et pour Adam. Le créateur a décidé qu'il n'y avait pas de plus grande tâche pour elles que d'être une épouse pour l'homme. […] La place des femmes est à la maison.» Un vieux traité catho ? Non, l'Etat islamique.

Ces phrases sont extraites d'un document publié le 23 janvier sur un forum jihadiste, intitulé «Les femmes et l'Etat islamique, manifeste et étude de cas». Une sorte de guide des bonnes pratiques à l'usage des femmes de jihadistes, rédigé par la branche média de la brigade al-Khansa. Cette milice féminine basée à Raqqa, fief de l'Etat islamique en Syrie, et composée en partie de femmes étrangères, a pour fonction de contrôler l'application de la charia par les femmes. Le document a été traduit en anglais et mis en ligne ce jeudi par la Quilliam Foundation, think-tank britannique spécialisé dans les problématiques d'islamisme et de déradicalisation.

Le «manifeste» est divisé en chapitres : le manifeste de la femme musulmane, l’échec du modèle féminin occidental, les fonctions secondaires autorisées, la différence entre étudier et gagner sa vie, le voile, la justice…

Au chapitre mariage, la brigade al-Khansa l'autorise pour les filles dès neuf ans, l'idéal étant tout de même 16-17 ans. Au chapitre éducation, les petites filles et adolescentes doivent apprendre la vie du prophète, l'histoire de l'islam, la charia, mais elles doivent aussi savoir coudre et cuisiner – dans la série mode d'emploi à l'usage de la ménagère jihadiste, en novembre, les femmes du groupe Al-Zawra, rattaché à l'Etat islamique, avaient publié quelques recettes énergétiques à préparer pour leurs maris combattants, comme le gâteau aux dattes.

Evidemment, les femmes doivent être voilées, par «respect pour leur corps» et pour «maintenir la société à distance». La brigade al-Khansa se félicite que depuis «l'établissement du califat», toutes les robes un peu trop découvertes aient été retirées des magasins de Raqqa. Au chapitre «esthétique», la brigade dit tout le mal qu'elle pense de la mode occidentale : la chirurgie esthétique, les piercings, les «cheveux rasés par endroits et pas à d'autres».

Les femmes ne sont pas censées travailler, pour ne pas être corrompues et pour ne pas avoir à sortir de chez elles. En fait, la femme n’est autorisée à sortir que dans trois cas: pour combattre en tant que jihadiste si, et seulement si, les hommes sont en nombre insuffisants pour protéger le pays et si l’imam l’y autorise formellement ; pour étudier la religion ; pour exercer la fonction de médecin ou d’enseignante, dans le strict respect de la charia.

A Raqqa, en mars 2014. La pancarte rappelle l'obligation du port du niqab. (Photo Reuters)

L'émancipation des femmes occidentales est, bien sûr, considérée comme une totale dépravation : les femmes qui travaillent sont pleines d'«idées corrompues et de croyances de pacotille». «Le modèle choisi par les infidèles de l'Occident a échoué à la minute où les femmes ont été "libérées" de la cellule familiale.»

Tout au long du manifeste, le message est clair : dans le jihad au sens où l'entend l'Etat islamique, la place des femmes n'est pas au combat mais à la maison. Rassurons-nous, la femme n'est pas pour autant obligée d'être inculte : «Oui, nous disons : "Restez à la maison", mais cela ne signifie pas que nous soutenons l'illettrisme ou l'ignorance. Nous soulignons simplement la distinction entre le travail – qui implique pour une femme de quitter la maison – et les études, qu'elle doit suivre.»

Comme le souligne Charles Lister, de la fondation Quilliam, «ce document bat en brèche l'idée selon laquelle il y aurait pour les femmes occidentales un romantisme, un esprit d'aventure, à rejoindre l'Etat islamique. Il montre qu'elles ont une place, mais que cette place n'est qu'une place de soutien, pas de combat. Il y a une vraie différence entre ce que peuvent dire les femmes jihadistes sur Facebook et la réalité sur place».