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Interview

Dmytro Ostroushko : «Si on lui impose quelque chose, Poutine fait l’inverse»

Pour le chercheur ukrainien Dmytro Ostroushko, l’Europe se comporte avec Poutine comme avec un terroriste qui a des otages.
Vladimir Poutine à Minsk, mercredi. (Maxim Malinovsky . AFP)
publié le 11 février 2015 à 20h06

Dmytro Ostroushko est directeur des programmes internationaux de l'institut Gorshenin, think tank basé à Kiev qui «suit avec une attention particulière les relations de l'Ukraine avec l'Union européenne, son processus démocratique et d'intégration européenne».

Le sommet de Minsk peut-il aboutir à un plan de paix durable ?

Nous espérons tous qu’il y ait des résultats, mais personne n’est sûr de rien. La situation est très grave : l’escalade continue, et l’Etat ukrainien demande des armes défensives. Personne ne veut la guerre ; la solution diplomatique reste l’approche privilégiée. Mais pour le moment, il manque un élément clé : la volonté politique de Vladimir Poutine. Les représentants de la Russie répètent qu’ils cherchent une solution pacifique, mais c’est pourtant du côté russe qu’arrivent sans cesse de nouvelles munitions, de nouveaux combattants.

Que veut la Russie dans l’est de l’Ukraine ?

Selon Moscou, le Donbass doit rester ukrainien mais Kiev doit lui attribuer une autonomie forte avec de larges pouvoirs. Les Russes ne veulent pas annexer ces territoires, comme ce fut le cas avec la Crimée dont ils rêvaient depuis longtemps. En outre, ils ne veulent pas devoir prendre en charge cette région économiquement détruite. Mais une autonomie forte de ces régions de l’est permettrait de bloquer les politiques ukrainiennes qui contrediraient les intérêts de la Russie.

Vladimir Poutine est-il en position de force dans ces négociations ?

Poutine est un profil psychologique sur lequel on ne peut pas faire pression. Si on lui impose quelque chose, il fait l’inverse. C’est ce qui rend les négociations très difficiles. La communauté internationale se comporte vis-à-vis de lui un peu comme vis-à-vis d’un terroriste ayant pris des personnes en otage : il faut être très prudent pendant les négociations car le moindre pas maladroit pourrait provoquer la mort de ceux dont il tient le sort entre ses mains. Mais on continue à négocier, tout en menant des actions parallèles pour libérer les otages.

Quel est le point le plus difficile ?

Toutes les questions sur la table des négociations sont importantes. Mais ce qui est fondamental, c’est la mise en œuvre d’un accord. Si l’on s’entend sur une ligne de démarcation, quelle qu’elle soit, comment va-t-on la faire respecter concrètement ? Qui supervisera la zone intermédiaire démilitarisée ? Ce sont des choses très pratiques dont dépend la réalisation de ce plan de paix. Il faut aussi être certain que les interlocuteurs soient capables de tenir leurs engagements : quand le cessez-le-feu a été décrété, en septembre, les provocations des séparatistes se sont poursuivies et depuis, la superficie du territoire sous leur contrôle a augmenté de 500 km². De leur côté, il existe différentes forces. Il y a des rivalités, des clans, parmi les séparatistes. Il est donc difficile de déterminer à 100 % les responsabilités.

Si le plan de paix est défavorable à Kiev, l’avenir politique de Petro Porochenko est-il menacé ?

Il est déjà menacé. En Ukraine, on lui reproche déjà de ne pas être suffisamment proactif. Il a gagné les élections en promettant qu’il mettrait fin à la guerre très vite, qu’il engagerait les réformes pour lesquelles Maidan s’est soulevée. Le niveau de soutien de la population a beaucoup baissé. Il aura un avenir politique s’il parvient à négocier la paix et à assurer le bon fonctionnement du pays. Petro Porochenko a le soutien de la communauté internationale qui, selon moi, n’a pas le choix. Elle doit soutenir l’Ukraine car il ne s’agit pas simplement de la crise ukrainienne, mais d’un danger pour l’Europe.

Comment voyez-vous l’avenir politique de la Crimée ?

La question, c’est de savoir quand il sera possible pour Kiev, dans le contexte international, de revendiquer la restitution de la Crimée. Aujourd’hui, les conditions ne sont pas réunies et on ne sait pas si cela sera possible. L’annexion de la Crimée par la Russie viole toutes les règles du droit international. Mais il y aura aussi énormément de travail pour donner envie aux gens de retourner en Ukraine. Cela concerne également le Donbass. La situation a changé en deux ou trois ans. Beaucoup de gens ne sont pas forcément amoureux de la Russie mais sont en même temps très critiques à l’égard de Kiev. Pour des raisons objectives mais surtout subjectives, ils accusent l’actuel pouvoir ukrainien de tous leurs maux. Si le Donbass reste en Ukraine, il faudra des années pour arriver à une réconciliation.