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Libération

«Aucune clémence» de la part du président indonésien

Joko Widodo a refusé de gracier Serge Atlaoui. Deux Australiens pourraient être fusillés prochainement.
publié le 13 février 2015 à 19h16

La France multiplie les démarches «pour obtenir la non-exécution» de Serge Atlaoui, nous expliquait vendredi Romain Nadal, porte-parole du Quai d'Orsay, qui suit «avec attention et préoccupation» l'évolution de la situation. Elle ne semble guère positive, alors que 64 étrangers sont condamnés à mort en Indonésie dans des affaires de stups, et que onze d'entre eux, dont le Français, ont vu leur grâce présidentielle rejetée fin janvier.

Jeudi, les autorités de Jakarta ont ordonné le transfèrement de deux Australiens, Andrew Chan, 31 ans, et Myuran Sukumaran, 33 ans, de leur prison sur l'île de Bali vers celle où se trouve le Français et où se déroulent les exécutions. Ils pourraient être rapidement fusillés, le ministère indonésien des Affaires étrangères ayant annoncé au début du mois qu'ils seraient «exécutés en février 2015». Les deux hommes, arrêtés à l'aéroport de Bali en 2005, ont été condamnés pour un trafic portant sur 8 kilos d'héroïne.

Œil pour œil. «Tuer ces deux jeunes hommes ne résoudra pas le problème de la drogue en Indonésie», a protesté Julia Bishop, ministre australienne des Affaires étrangères, qui menace Jakarta de représailles économiques face à cette «grave injustice», et prévient que les touristes australiens boycotteront le pays en cas de mise à mort. Mais Joko Widodo, le Président, dit «Jokowi», avait récemment prévenu : «Il n'y aura aucune clémence pour les condamnés dans des affaires de stupéfiants.» Son argument ? Une sorte d'œil pour œil : «40 à 50 Indonésiens perdent chaque jour la vie à cause de l'usage de drogues», affirme-t-il. Une statistique contestée dans le Jakarta Globe, vendredi, par un chercheur qui la qualifie d'«erronée» car basée sur des «spéculations inexactes».

Mais Jokowi se sert surtout de ce dossier pour affirmer une autorité qu’il cherche depuis son arrivée au pouvoir, en octobre. Dans un pays où la population est majoritairement favorable à la peine de mort, il peut s’attirer une certaine popularité en affichant sa fermeté.

«Jokowi s'est mis dans une situation de non-retour en annonçant tout de go en décembre qu'il rejetterait toute demande de grâce. Il ne peut plus revenir en arrière et perdre la face. C'est ce qui complique cette affaire», analyse un diplomate sous couvert d'anonymat. Mais «voir ce candidat issu de la société civile, qui nous avait amené tant d'espoir pendant la campagne électorale en 2014, pratiquer cette politique, est désolant», déplore Raphaël Chenuil-Hazan, d'Ensemble contre la peine de mort. Surtout que, «même si ce qu'on lui reproche est avéré, Serge Atlaoui reste un ouvrier soudeur qui a monté une machine… un maillon très subalterne». Pour lui, le Président «gonfle les muscles pour se donner une légitimité, mais ces exécutions sont plutôt un aveu de faiblesse».

«Pesant». Une demande de révision du procès de Serge Atlaoui a été déposée mardi à la cour de Tangerang. Pour être examinée par la Cour suprême, elle doit recevoir un avis favorable de trois juges. Deux ont déjà signé. «Mais cette demande n'est pas suspensive de l'exécution. Cela dit, il n'y a pas d'exemple de sentence exécutée pendant qu'une procédure judiciaire était en cours», précise ce diplomate, qui évoque une «atmosphère très pesante sur ce dossier, pour lequel on ne peut pas écarter le pire». Surtout que le procureur général fait des «déclarations guerrières tous les jours».

Fin janvier, le parquet général annonçait que onze exécutions auraient lieu dans les semaines suivantes. Six ont été effectuées. Mais lundi, selon le Jakarta Post, le ministre de la Justice a suggéré que le Président pourrait réexaminer sa décision de procéder à des exécutions. Ou comment souffler le chaud et le froid…

Lettre. Laurent Fabius devait se rendre en voyage officiel sur place mardi, mais il a dû annuler en raison des négociations sur l'Ukraine. Le ministre a donc téléphoné à son homologue indonésienne. «Il a beaucoup insisté sur la situation de Serge Atlaoui», rapporte le Quai d'Orsay. Hollande a aussi fait passer une lettre au Président. Mais selon ce diplomate, Jokowi est «difficilement joignable quand il s'agit d'aborder ce sujet avec les chefs d'Etat concernés». Et les interventions des gouvernements nigérian, néerlandais et brésilien n'ont pas empêché l'exécution de leurs ressortissants en janvier.

Un débat pourrait néanmoins naître en Indonésie sur les éventuelles conséquences diplomatiques de cette politique, d'autant que plus de 260 Indonésiens se trouvent dans les couloirs de la mort à l'étranger . La ministre australienne exhorté jeudi le gouvernement de Jakarta à «montrer la même miséricorde pour Andrew et Myuran qu'il cherche pour ses citoyens dans la même situation à l'étranger».