C'est un petit bout de femme qui dit d'une voix douce mais ferme : «Ce qui nous arrive peut arriver à n'importe qui. C'est mon message : faites très attention. Car ça va très vite. Du jour au lendemain, votre vie est brisée.» Sabine Atlaoui, 41 ans, se souvient de ce jour où «le monde s'est écroulé», le 12 novembre 2005, quand la télé a annoncé l'arrestation de son mari, en Indonésie, pour «trafic de drogue».
Serge Atlaoui, 51 ans, quatre enfants (dont un avec Sabine), était parti faire un boulot de soudeur, bien payé, 2 000 euros la semaine, proposé par un ami aux Pays-Bas, où il vivait criblé de dettes. Elle dit qu'il a vite trouvé le job bizarre, l'activité «pas très claire». «On lui avait dit de souder une machine, sans lui préciser quel en serait l'usage, assure son avocat, Me Richard Sédillot. Puis on lui a affirmé qu'ils fabriqueraient de l'acrylique. Quand il a voulu partir, on lui a dit : "Termine ton travail, tu auras ton billet à la fin."»
Labo. Serge Atlaoui était là «pour maintenir les machines en état, affirme un diplomate. Mais celles-ci n'étaient directement reliées à aucune production d'ecstasy. C'est lors de son second chantier qu'il s'est rendu compte que quelque chose n'était pas normal. Il a été pris juste avant de s'en aller. Il n'a jamais contribué à fabriquer de l'ecstasy, ce n'est pas un trafiquant». Ce 12 novembre 2005, Sabine le pense dans l'avion du retour. Non : il a été arrêté. Jugé avec le groupe de personnes suspectées d'avoir voulu monter ce labo d'ecstasy, il prend d'abord perpétuité, une condamnation confirmée en appel. La Cour suprême la transforme en peine de mort en 2007.
Il vit depuis avec cette menace, virtuelle jusqu'à ce que le nouveau président, Joko Widodo, décide de procéder à des exécutions pour l'exemple (lire ci-contre). Le 18 janvier, il y a eu six fusillés, dont cinq étrangers. Un Vietnamien, un Nigérian, un Malawite, et deux codétenus du Français : «Marco le Brésilien et Kiem le Hollandais, un choc énorme, personne ne s'y attendait, raconte Sabine. Le soir, ils rentrent dans leur cellule, puis des gardiens viennent les chercher et les emmènent.» A ce moment seulement, tout le monde comprend : «Il reste soixante-douze heures pour essayer de leur sauver la vie» par un ultime recours. «C'est traumatisant. Tous les autres s'attendent à ce qu'on vienne les chercher. L'angoisse permanente.»
Et bientôt Serge Atlaoui ? «Il est sur le qui-vive, derrière une porte. C'est du stress, du manque de sommeil, la peur perpétuelle», dit Sabine. Pour Raphaël Chenuil-Hazan, directeur général d'Ensemble contre la peine de mort, qui le soutient, «ce pourrait être le premier Français exécuté depuis la dernière exécution en France» d'Hamida Djandoubi, guillotiné aux Baumettes, à Marseille, le 9 septembre 1977.
Mais nul ne sait. Des rumeurs relayées par les médias indonésiens l'ont annoncé sur une future liste, sans confirmation. Sa demande de grâce présidentielle a été rejetée. Mais mardi, son avocate locale a déposé un recours en révision du procès. «La justice n'a jamais exécuté sans qu'un condamné puisse bénéficier de ce recours», dit Sabine Atlaoui. Mais il peut aussi être rapidement rejeté, si la justice estime qu'il n'y a pas matière à l'examiner. D'où l'inquiétude.
«Force». «Le trafic de drogue, c'est un désastre, il faut le combattre, mais ce n'est pas en exécutant des personnes à petite ou grande responsabilité qu'on va l'enrayer», estime Sabine Atlaoui, tout en se gardant de critiquer les autorités indonésiennes. «Il a toujours eu confiance dans la justice de ce pays», insiste-t-elle. Même si, comme l'indique le Jakarta Post, sa condamnation mentionne la détention de 290 kilos de kétamine et 316 bidons de substances chimiques ? «Mon mari n'est pas un trafiquant de drogue, rétorque-t-elle, et il n'a jamais touché de produit chimique. La révision de son procès serait utile pour permettre de bien déterminer les rôles de chacun.»
En attendant, elle espère le voir dans quelques jours, avec trois des enfants. Elle aura droit à deux visites de trois heures par semaine. Voilà deux ans qu'elle ne l'a pas vu. En général, elle fait le voyage une fois l'an vers l'île de Nusakambangan, à Java, pour rejoindre la prison de Pasir Putih. Un coin paradisiaque, avec la plage de sable blanc. Son enfer. Même si, après avoir connu «des moments très difficiles», les conditions de détention se sont améliorées. Il a sa cellule ouverte toute la journée. «Et la prison est beaucoup plus moderne que certaines prisons françaises», affirme son avocat.
Surtout, Serge Atlaoui garde le moral. «C'est lui qui tient, dit Sabine. Si j'ai des baisses, c'est lui qui va être là. On se communique une force mutuelle.» Elle l'a rencontré en 1999, ils se sont mis ensemble en 2001, pour quatre ans à peine. Depuis 2014, elle vit près de Metz, d'où il est originaire. Sans boulot. Avant, elle habitait aux Pays-Bas, travaillant comme femme de chambre, puis secrétaire dans une agence immobilière. Des amis la soutiennent, y compris financièrement, ainsi que la famille de son mari, et le gouvernement français. «Les enfants sont à 300% derrière leur père. Serge en est très fier.» Malgré ces neuf ans de calvaire, il lui reste «l'espoir et la détermination». Ils se parlent régulièrement au téléphone, car il a accès à une cabine. «Il est très combatif. Pas pour lui : pour les enfants et moi.»
Photo Fred Stucin