Le romancier danois Jens Christian Grondahl était à Copenhague ce week-end. Il témoigne.
«J’étais à la maison en famille ce samedi soir. Comme on était le week-end, j’entendais des jeunes qui s’amusaient et en même temps les hélicoptères qui survolaient la ville, c’était un peu surréaliste. Et j’ai appris que le gardien de la synagogue avait été tué. Jusqu’à récemment, les synagogues n’étaient pas particulièrement protégées au Danemark car il y avait peu d’antisémitisme.
La première fusillade visait le caricaturiste suédois Lars Vilks. En Suède, la tension autour des caricatures est plus forte qu’au Danemark, on peut être considéré comme raciste si on critique certaines choses. Lars Vilks veut juste provoquer des débats dans le genre de Charlie Hebdo. Ce sont des débats qui sont suivis avec beaucoup d’intérêt ici. Ce ne sont pas du tout des réunions de gens de droite comme certains ont pu le laisser entendre, ce sont juste des gens désireux de savoir si la liberté d’expression doit avoir des limites ou pas. C’était exactement l’objet du débat de samedi dans ce centre culturel d’un quartier bourgeois de Copenhague. Cette attaque a tué un réalisateur de documentaires, quelqu’un de très humaniste, qui a beaucoup travaillé sur les minorités et en faveur de la tolérance.
Le tueur vivait dans un quartier ouvrier maintenant peuplé majoritairement de musulmans. La vie y est d’ordinaire plutôt paisible. Dimanche, après le service à la cathédrale de Copenhague, qui se trouve à 50 mètres de la synagogue, le pasteur est venu apporter des fleurs devant la synagogue. Copenhague est une petite ville avec une culture d’ouverture. On avait jusqu’à peu le sentiment qu’on pouvait se balader partout, c’est nouveau pour nous de nous sentir menacés. On a aussi une assez grande cohésion sociale, peu de division entre droite et gauche, musulmans et non musulmans, même après l’affaire des caricatures en 2005. La majorité des musulmans, ici, est pratiquement aussi choquée que nous le sommes aujourd’hui. Des imams ont d’ailleurs manifesté leur horreur devant ces actes qui n’ont rien à voir avec l’Islam. Mais je crains malgré tout que l’atmosphère se tende. Car il y a une zone grise entre la majorité des musulmans, parfaitement intégrée, et les fanatiques, qui représentent une poignée. C’est cette zone grise qui pose problème et qu’il faut surveiller.
Aujourd’hui, c’est non seulement la liberté d’expression qui est en danger mais aussi la liberté de réunion. Lundi, c’est le carnaval, les enfants seront déguisés. Et le soir, une grande manifestation est organisée devant le centre culturel par la ville de Copenhague. Celle-ci a invité tous les citoyens à venir exprimer leur colère et leur deuil. J’espère qu’il y aura aussi des musulmans. Qu’ils n’auront pas peur. On a besoin de se rassembler et de se montrer solidaires.
Propos recueillis par Alexandra Schwartzbrod.
Photo éditions Gallimard.