Un cessez-le-feu durable peut-il s’imposer dans le Donbass en vertu des accords négociés à Minsk la semaine dernière ? Ce week-end, les diplomaties engagées dans le processus de paix retenaient leur souffle, suivant nerveusement l’évolution des combats sur le terrain, particulièrement à Debaltseve, point stratégique farouchement disputé par les belligérants.
Quelques heures avant le début du cessez-le-feu, le ministère russe des Affaires étrangères a mis en doute la bonne volonté de Kiev, l'accusant de «déformer le contenu des accords de Minsk». «Tandis que les représentants de Donetsk et de Lougansk font état de leur attitude responsable […], certaines déclarations d'hommes politiques à Kiev suscitent la méfiance», a jugé la diplomatie russe, assurant être «prête à contribuer à la mise en œuvre des accords conclus».
Suspens. Coutumière des postures alambiquées, la Russie balaie constamment les accusations d'ingérence formulées par l'Ukraine, l'Union européenne et les Etats-Unis. La guerre en Ukraine est une guerre civile, dit le Kremlin, qui demande aux deux parties du conflit la stricte application de leurs obligations. Sauf que bien des questions restent en suspens, provisoirement mises sous le tapis dans le but d'arracher des accords, mêmes lacunaires.
Le cas de Debaltseve n'a pas été tranché. Les troupes de Kiev y sont encerclées, et la situation paraît bloquée : le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a estimé que toute tentative des soldats de sortir de cet encerclement serait considérée comme une violation du cessez-le-feu. Les séparatistes «partent bien sûr du principe que ce groupe [de soldats] déposera les armes», avait déclaré Vladimir Poutine après l'annonce des accords de Minsk. «Les représentants du gou vernement ukrainien considèrent qu'il n'y a pas d'encerclement et que tout se fera assez facilement. J'ai des doutes depuis le début», avait-il ajouté. C'est donc une addition d'inconnues et de non-dits qui couvre d'un voile de doute la pérennité d'un cessez-le-feu déjà âprement négocié.
En Russie, la classe politique a salué le rôle joué par Vladimir Poutine durant les négociations. Mais, si la presse relève l'importance de la rencontre en elle-même, elle reste globalement sceptique à l'égard du contenu des accords. «Aucune décision définitive n'a été prise. La situation est de nouveau en suspens ; il y a tellement de facteurs à prendre en compte que l'application de ces accords relèverait du miracle», écrit le journal en ligne Gazeta.ru. Le quotidien Vedomosti partage cette prudence sceptique : «Le texte comporte peu de points contraignants, ni les modalités ni la responsabilité des parties ne sont précisées, la charge pesant sur Kiev semble disproportionnée. Le niveau de méfiance est très élevé : après ce qu'il s'est passé en Crimée puis dans le Donbass après les premiers accords de Minsk, comment espérer l'application des seconds ?»
La reconnaissance commune de l'intégralité territoriale de l'Ukraine est a priori une bonne nouvelle pour Kiev, mais le statut politique des régions séparatistes, si délicat, reste nébuleux. «Poutine n'a jamais dit qu'il voyait le Donbass en dehors de l'Ukraine, et cette ligne est toujours valable», note le politologue Fiodor Loukianov. Toutefois, le soutien apporté aux combattants autonomistes interroge la nature des objectifs poursuivis par Moscou. Et, quand les pays dits occidentaux prient la Russie de cesser ce soutien, cette dernière répond qu'elle ne se considère d'aucune manière partie prenante du conflit.
Selon Nikolaï Petrov, expert de l'Ecole supérieure d'économie de Moscou, interrogé par l'AFP, «Moscou cherchait à tout prix à éviter l'extension des sanctions».
Echappatoire. Les accords conclus à Minsk auraient ainsi offert une échappatoire au Kremlin. «La Russie veut conserver le statut quo afin de pouvoir souffler sur les braises du conflit et l'utiliser comme un puissant levier pour faire pression sur Kiev», estime-t-il. Dans un conflit aux lignes et aux enjeux confus, Vedomosti veut se raccrocher à la raison : «Si l'on suppose que Poutine est rationnel, l'état de l'économie russe devrait le pousser à la paix dans le Donbass.»