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Portrait

Ashton Carter, une tête dure au Pentagone

Très respecté, le nouveau secrétaire à la Défense entend imposer une ligne interventionniste à la Maison Blanche.
Ashton Carter lors d'une audition devant la commission sénatoriale des forces armées, le 4 février à Washington. (Photo Jonathan Ernst. Reuters)
publié le 17 février 2015 à 18h26

Le premier coup d'éclat d'Ashton Carter a pour décor une station de lavage de voiture, à Philadelphie. Celui qu'on surnomme «Ash» n'a alors que 11 ans et un caractère déjà bien trempé. Employé de la station - son tout premier job -, il est rapidement licencié pour des remarques narquoises et sarcastiques lancées à son patron. L'anecdote, qu'il raconte malicieusement dans un essai autobiographique publié en 2007 (1), ne surprend pas ceux qui l'ont côtoyé. Ils dépeignent un homme brillant, direct, mais parfois arrogant.

A 60 ans, Ashton Carter est devenu mardi le nouveau secrétaire américain à la Défense. Et, de l'avis général, il est peu probable qu'il se contente d'entériner les décisions de la Maison Blanche. Lors de son audition de confirmation devant le Sénat, le futur patron du Pentagone a d'ailleurs prévenu : «J'ai promis au président Obama que je lui donnerai des conseils stratégiques francs.» Quitte à faire entendre une voix dissonante.

«Contre-pied». Avant même son entrée en fonction, Ashton Carter n'a pas hésité à afficher son indépendance. Interrogé par des sénateurs, il s'est dit favorable à la fourniture d'armes létales à l'armée ukrainienne, ce qui lui a valu un recadrage de la part de la Maison Blanche - la question n'ayant pas encore été tranchée par Barack Obama, qui y est plutôt réticent. «Sûr de lui et intellectuel, écrit le New York Times, Ashton Carter est à bien des égards le contre-pied de Chuck Hagel», le secrétaire à la Défense sortant, jugé «trop passif». Nommé début 2013 pour gérer le retrait d'Afghanistan et les restrictions budgétaires au Pentagone, Hagel a été poussé à la démission par Barack Obama dans un contexte de réengagement militaire américain en Irak et en Syrie. «Les deux prochaines années vont exiger un nouveau type d'approche», expliquait en décembre un haut responsable de l'administration.

Derrière cette nomination, faut-il voir la volonté d'Obama de durcir une politique étrangère jugée faible et hésitante, en particulier par les républicains ? Seule certitude : le nouveau patron du Pentagone défend des positions plus à droite que celles du Président. Réticent à accélérer la libération des prisonniers de Guantánamo, déterminé à «finir le boulot» en Afghanistan, Carter pourrait plaider pour un usage accru de la puissance américaine. Plusieurs sources affirment qu'il a été «choqué» à l'été 2013, quand Obama a annulé au dernier moment les frappes militaires contre le régime syrien, qui avait pourtant franchi la «ligne rouge» sur les armes chimiques.

Docteur en physique, spécialiste des questions balistiques et nucléaires, Ashton Carter a également défendu dans le passé des positions fermes à l'égard de l'Iran et de la Corée du Nord. En 2006, il avait ainsi plaidé pour une «frappe chirurgicale» contre un missile nord-coréen sur le point d'être testé. Côté républicain, on se réjouit donc de sa nomination. A tel point que sa confirmation par le Sénat - 93 voix pour, 5 contre - a été une formalité. L'interventionniste sénateur John McCain a salué «l'un des professionnels de la défense avec le plus d'expérience».

Numéro 2 du Pentagone de 2011 à 2013, chargé auparavant de l'acquisition d'armes et de matériel, Carter a également occupé un poste au secrétariat à la Défense sous Clinton. «Il a une profonde connaissance des dossiers, mais aussi de la façon de diriger le Pentagone», se félicite Joseph Nye, un spécialiste des relations internationales qui a travaillé avec lui.

Iconoclaste. Fort de son caractère et de son expérience, Ashton Carter parviendra-t-il à s'imposer au sein d'une administration qui a déjà usé trois secrétaires à la Défense, du jamais vu depuis Truman dans les années 50 ? Réussira-t-il à pénétrer le cercle très fermé d'Obama, qui préfère s'appuyer sur une poignée de conseillers proches plutôt que sur les membres de son cabinet ? Les républicains n'y croient pas. John McCain se dit ainsi convaincu que Carter n'aura «aucune influence» sur la garde rapprochée d'Obama. Pour d'autres, cette nomination préfigure au contraire une escalade militaire contre l'Etat islamique en Irak et en Syrie. «Que cela lui plaise ou non, Obama va avoir besoin d'un patron du Pentagone pour superviser cette guerre que lui-même ne souhaite pas mener», écrivait récemment l'éditorialiste Dana Milbank dans le Washington Post.

Ashton Carter pourra en tout cas compter sur le soutien de l'armée. Iconoclaste, cet universitaire diplômé en histoire médiévale - et auteur d'une thèse sur l'emploi du latin par les moines flamands du XIIe siècle - n'a certes jamais porté l'uniforme. Mais sa carrière au Pentagone lui a valu le respect du haut commandement militaire comme des soldats. Ces derniers reconnaissent en particulier son engagement pour la sécurité des troupes. De 2009 à 2011, lorsqu'il dirigeait les achats pour le Pentagone, il s'était notamment battu pour déployer en Irak et en Afghanistan des véhicules et armures plus résistants aux engins explosifs.

(1) «Faculty Career Profile», Kennedy School of Government, Harvard University, 2007.