Moulaye Hassane, chercheur en études arabes et islamiques à l’Institut de recherche en sciences humaines de Niamey, analyse la progression des idées sectaires véhiculées par Boko Haram alors que le Niger est entré en guerre la semaine dernière contre l’organisation islamiste.
Qu'elle est la situation aujourd'hui au Niger?
Le problème de notre administration, c’est que le devoir de résultat n’existe pas. Même si nous voulons encore construire un Etat démocratique et rationnel, la population, d’une manière générale, sauf les cercles qui gravitent dans les prébendes du pouvoir, ne croit plus à ce projet dont elle a été écartée. Dès lors que tout s’achète, que tout se vend, jusqu’au permis de conduire, quelle attitude adopter face à un Etat défaillant qui, d’un coup, semble saisi par la gravité de la situation dans la région et claironne : «la République est en danger et Boko Haram est dans la place» ?
Etes-vous surpris par la participation de cellules nigériennes agissant au nom de Boko Haram ?
Non, car les prédicateurs qui pullulent dans le pays ont rempli le vide laissé par l’Etat. Nous avons un Etat qui depuis longtemps ne contrôle plus grand-chose. Comme l’école de la République ne peut les absorber, les jeunes sont pris en charge par des écoles coraniques. Et si toutefois le système les absorbe, c’est à raison de 120 élèves par classe sans aucun diplôme valable. L’éducation au Niger ne fabrique que des chômeurs. La natalité dans ce pays est un problème majeur. Elle affaiblit et détruit la famille. Les jeunes sont livrés à eux-mêmes ou alors pris en charge par d’autres. Nous sommes focalisés sur l’est du pays avec cet état de guerre, là où la population est la moins nombreuse. Mais que dire de Zinder, la région la plus peuplée, qui fait face aux mêmes maux avec une jpopulation jeune qui n’a aucun espoir et est susceptible d’être manipulée ?
Les izalistes, cette branche du wahhabisme venue du Nigeria dans les années 90, ont labouré le terrain religieux. Cela vous inquiète-t-il ?
Il s’agit souvent d’une petite bourgeoisie que l’on retrouve aujourd’hui un peu partout dans le pays, avec quelques souches qui prônent la violence. Elle est financièrement indépendante. Une bourgeoisie commerçante, citadine, qui n’utilise plus les circuits bancaires. Il est donc impossible de pister l’argent qui transite. De fait, elle échappe totalement à l’Etat. Elle a ses propres écoles aussi. L’Etat, qui se trouve déjà dans une situation de faiblesse, sollicite les izalistes dans le cadre de financements ou d’appuis lors d’élections locales, car ils tiennent les mosquées. Partout où l’Etat recule, les izalistes avancent tout en ne cherchant pas à se substituer pour le moment à lui, car ils n’ont pas encore de théorie politique, sociale ou économique. Ces gens ne poursuivent qu’un seul objectif : qu’advienne un jour un Etat islamique au Niger.
L’armée parle de femmes kamikazes. Cela vous surprend-t-il ?
Pas vraiment car, notamment chez les Haoussa et dans une moindre mesure chez les Kanouri, la femme est dans une situation de soumission totale. Elle peut mourir si son mari le lui demande. Boko Haram utilise la femme comme un objet. La petite fille, elle, est confiée à une école coranique sous l’autorité d’une éducatrice qui la formera à être femme au foyer. Elle est donc soumise à trois enfermements : celui du père, celui de l’éducatrice religieuse et ensuite celui de son mari, qui la place alors dans un état de docilité absolu. Elle ne sort qu’au crépuscule et accompagnée par son mari.
Et les wahhabites ?
Il s’agit de gens formés en Orient dans les années 80 avec déjà une très importante fascination pour le monde arabe. Ils vivent au Niger, mais comme à Médine, regardent en boucle leurs propres chaînes et commentent à des ignorants un islam importé. Ce soubassement existe depuis trente ans. On en revient au problème majeur : qui contrôle les prêches ?