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Analyse

Malgré le cessez-le-feu, les prorusses à l’offensive en Ukraine

La chute de Debaltseve, violant les accords de Minsk dès leur entrée en vigueur, permet aux prorusses de prendre une position stratégique dans l’est du pays.
La ville d'Uglegorsk, à 6 km de Debaltseve, mercredi. (Photo Vasily Maximov. AFP)
publié le 18 février 2015 à 19h56

La trêve instaurée dans le Donbass par des accords signés à Minsk en Biélorussie, il y a une semaine à peine, n'aura pas tenu trois jours. Ou, plus exactement, elle n'aura pas vraiment commencé. Car les combats n'ont jamais cessé autour de Debaltseve, nœud ferroviaire et routier stratégique, à mi-chemin entre les deux bastions rebelles de Donetsk et de Lougansk. Mercredi matin, sous la pression des séparatistes prorusses entrés dans la ville mardi, l'armée ukrainienne a abandonné ses positions, après dix jours de combats acharnés. Pour l'Union européenne, il s'agit d'une «violation du cessez-le-feu». Mais la Russie continue de se montrer globalement satisfaite. «Le cessez-le-feu est respecté quasiment tout au long de la ligne de front et l'unique exception est le "chaudron" de Debaltseve», a déclaré, mercredi, le ministre des Affaires étrangères russes, Sergueï Lavrov, tandis que dans plusieurs régions les milices ont annoncé être prêtes à commencer le retrait des armes lourdes. Cette «exception» de Debaltseve ne remet donc pas pour l'heure en question les acquis de Minsk, considère-t-on à Moscou, d'autant que personne, coté rebelle, n'a jamais promis quoi que ce soit sur cette ville.

Reddition. Les séparatistes, forcés par Vladimir Poutine d'accepter les accords de Minsk, ont immédiatement déclaré que les conditions du cessez-le-feu ne s'appliquaient pas à ce point névralgique du front. Le chef de la république autoproclamée de Donetsk, Alexandre Zakhartchenko, a expliqué que ses troupes «cesseront le feu partout sauf dans les régions intérieures de la république autoproclamée», tout en avertissant que «toute tentative de soldats de Kiev de sortir de l'encerclement à la ville de Debaltseve sera stoppée». Moscou n'a pas condamné cette attitude belliqueuse, qui mettait pourtant en péril des accords durement négociés. «Les forces armées ukrainiennes qui se trouvent dans cette poche vont bien sûr tenter de sortir de l'encerclement après le cessez-le-feu en violant ainsi le régime de la trêve. Il existe cette menace», avait déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

Vladimir Poutine, rappelant sans cesse la nécessité et l'urgence pour toutes les parties de respecter la feuille de route de Minsk, a appelé les soldats ukrainiens à se rendre, face à l'avancée inéluctable des rebelles, exonérant ainsi ces derniers de la responsabilité d'entraver le processus de paix. «J'espère que les responsables ukrainiens ne vont pas empêcher les soldats de l'armée ukrainienne de déposer les armes, a déclaré mardi le président russe, en déplacement à Budapest. S'ils ne sont pas capables de prendre cette décision d'eux-mêmes et de donner cet ordre, j'espère qu'ils ne poursuivront pas ceux qui veulent sauver leur vie et celles des autres.»

Durant les négociations avec François Hollande, Angela Merkel et Petro Porochenko, Vladimir Poutine avait déjà exigé la reddition de l'armée ukrainienne à Debaltseve, et obtenu finalement que le cessez-le-feu n'entre en vigueur que quatre jours après la signature des accords. «Depuis le début, Poutine voulait clairement laisser le temps aux séparatistes de prendre Debaltseve. Quatre jours ne leur ont pas suffi, ils ont pris la semaine», commente le politologue Nikolaï Petrov de la Haute Ecole d'économie de Moscou. Pourquoi le Kremlin a-t-il attaché tant d'importance à cette partie du front, prêt à cautionner la rupture de la trêve par les séparatistes ? «C'est une logique purement guerrière,répond Fedor Loukianov, rédacteur en chef de Russia in Global Affairs. Il fallait mener l'opération à bout, on ne pouvait pas l'interrompre à mi-chemin, alors que les séparatistes étaient à deux doigts de gagner.» Avant de s'envoler vers l'Est, mercredi, le président ukrainien, Petro Porochenko a confirmé l'abandon de Debaltseve. «Ce matin, les forces armées ukrainiennes, avec la garde nationale, ont achevé l'opération d'évacuation planifiée et organisée de nos unités militaires de Debaltseve, a-t-il déclaré dans une adresse à la nation. A l'heure actuelle, 80% de nos unités sont sorties.»

Désescalade. Mardi, après l'offensive rebelle, Porochenko avait appelé les Occidentaux à réagir à cette «attaque cynique contre les accords de Minsk» et le cessez-le-feu, en demandant une réponse «sévère» à l'encontre de la Russie, et en réitérant à Washington sa demande de livrer des armes défensives à l'Ukraine. Mais l'abandon de Debaltseve aux séparatistes pourrait aussi constituer ce moment décisif permettant enfin la désescalade du conflit en Ukraine. «C'était le point le plus chaud du front et le plus problématique, qui mettait la trêve en péril, rappelle Petrov. Une situation qui paraissant encore hier sans issue semble plus ou moins résolue.» Reste à savoir si les séparatistes vont se contenter de cette victoire qui leur permet d'homogénéiser le territoire qu'ils contrôlent, ou bien, faisant fi de leurs propres engagements auprès de Kiev, Paris, Berlin et Moscou, ils continueront à avancer vers l'ouest, en convoitant notamment le port de Marioupol.