«On ne badine pas avec moi», prévenait l'intimidante Simone Gbagbo au visage carré, alors première dame, lors d'une interview en 2001. Une fermeté et une «trempe de ministre», selon ses propres termes, qu'elle démontre pleinement l'année suivante, lorsqu'un coup d'Etat manqué parti du nord de la Côte-d'Ivoire aboutit à une partition du pays. Une «sédition» pourfendue par la «Dame de fer» ivoirienne, qui l'imputera publiquement au «chef des bandits», Alassane Ouattara, l'actuel président de la République, qui avait remporté l'élection présidentielle de 2010 avec 54,1% des voix. Mais Laurent Gbagbo et son clan ont refusé de quitter le pouvoir.
Celle que ses supporteurs appellent avec tendresse «Maman» quand le camp adverse la qualifie de «sorcière» a vu son image considérablement s’écorner le 11 avril 2011. Ce jour-là, toutes les télévisions du monde l’ont montrée les tresses ébouriffées et la mine décomposée. Le couple Gbagbo venait d’être arrêté, en compagnie de leurs proches, par des combattants pro-Ouattara, après que les forces françaises de l’opération «Licorne» et la mission de l’ONU en Côte-d’Ivoire avaient pilonné des jours durant la résidence présidentielle.
«Aucune compassion». L'image d'une Lady Macbeth à l'africaine sans-pitié et impériale avait alors pris un cinglant revers. Près de quatre ans plus tard, c'est pourtant par un victorieux sourire et habillée d'une robe jaune à fleurs que l'imposante ex-première dame s'est présentée à l'ouverture des assises pour décliner son identité. «Confiante et impatiente de donner sa part de vérité», selon son avocat Me Rodrigue Dadjé, qui se dit certain que «rien ne pourra jamais noyer l'aura de Mme Gbagbo».
Tout au long de son combat syndicaliste et politique, Simone Gbagbo s'est illustrée par une radicalité si brutale qu'elle terrifiait jusqu'à son propre sexe et dans ses propres rangs. «Elle n'avait aucune compassion naturelle pour les femmes», se souvient une ancienne ministre de Laurent Gbagbo. En 2001, des femmes du Rassemblement des républicains, le parti d'Alassane Ouattara, sont violées à l'école de police d'Abidjan après une manifestation. «Les gens se disent qu'elles l'ont peut-être un peu cherché», tranche-t-elle lors d'une interview télévisée.
Soupçonnée d'avoir été à la tête des «escadrons de la mort» qui éliminèrent plusieurs opposants sous le régime Gbagbo, elle a aussi été entendue par la justice française sur la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer en 2004, qui avait rendez-vous avec son beau-frère le jour où il avait été enlevé. Ce qui n'empêche pas son avocat d'affirmer qu'«à aucun moment, Mme Gbagbo n'a appelé un Ivoirien à s'en prendre à un autre Ivoirien. Elle s'en est simplement tenue à des critiques politiques».
Car Simone Gbagbo est une militante de la première heure. Née Ehivet en 1949 près de Grand-Bassam, une ville marquée par son passé colonial située à 30 kilomètres au sud d’Abidjan, cette fille d’un gendarme, issue d’une famille de 18 enfants, se passionne pour la linguistique et l’histoire. Elle obtient une maîtrise de lettres modernes en France puis un doctorat à Dakar. Séduite par la politique et le syndicalisme, elle navigue ensuite dans les courants socialistes clandestins et s’oppose au «Vieux», Félix Houphouët-Boigny, le père de l’indépendance ivoirienne obtenue en 1960. Ce qui vaudra à l’activiste plusieurs incarcérations entre 1970 et 1990.
Tenacité. Des «épreuves», selon ses dires, endurées aux côtés de ses camarades masculins qui lui vaudront l'ironique surnom de «premier homme de Côte-d'Ivoire». Elle affirmera avoir été très violemment battue en prison, un tabassage en règle qu'elle invoque pour expliquer sa revancharde ténacité. Un bon nombre de rumeurs font état d'un viol sur sa personne, qui n'a jamais été «ni confirmé ni infirmé», selon son avocate Me Habiba Touré. En 1982, Simone cofonde avec Laurent Gbagbo, un «camarade» de l'époque, ce qui deviendra le Front populaire ivoirien, et est élue députée en 1985. En se mariant, le 19 janvier 1989, le couple frondeur scelle davantage son implication, «corps et âme», dans la lutte politique.
Simone Gbagbo, fervente pratiquante chrétienne évangéliste - les rares visiteurs de sa résidence surveillée d'Odienné (nord-ouest du pays), où elle resta trois ans, témoignent d'un emploi du temps fait de prières et de lectures religieuses -, ne dissocie pas sa foi de son combat. Au lendemain du second tour de l'élection présidentielle, fin novembre 2010, Simone Gbagbo déclare par exemple que «Dieu a donné la victoire à Laurent», tandis que Nicolas Sarkozy, le «diable» néocolonialiste, cherche à s'emparer de la Côte-d'Ivoire.
Cette lecture messianique de la crise a conféré une stature mystique à la dévote Mme Gbagbo, qui a fait du croisement du religieux et du politique sa signature. Des pasteurs et prophètes actifs sur la scène politique ont même organisé des prières dans sa villa lors de la crise post-électorale. En outre, même si elle est poursuivie par la Cour pénale internationale pour crime contre l'humanité, comme son mari, il est peu probable que Simone Gbagbo soit envoyée à La Haye. L'Etat ivoirien argue d'être en capacité de juger «Maman» à domicile.