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Libération
Récit

Procès du camp Gbagbo : Simone pérore et attaque

L’ex-première dame de Côte-d’Ivoire, jugée pour «atteinte à la sûreté de l’Etat» avec 82 proches de l’ancien président, a été entendue lundi, à Abidjan.
Simone Gbagbo au tribunal d'Abidjan, le 23 février. (Photo Issouf Sanogo. AFP)
publié le 23 février 2015 à 19h16

Ses avocats avaient promis : Simone Gbagbo ne serait pas «volcanique» lors de son audition aux assises mais, au contraire, «très sereine». Sa démarche est tranquille et sa robe turquoise et chocolat flamboyante lorsqu'elle arrive au palais de justice d'Abidjan. Elle adresse à l'assemblée une pluie de larges sourires avant de s'installer dans le box des accusés. Et de prévenir les journalistes : elle compte parler «à satiété».

L'ancienne «Dame de fer» ivoirienne, après quasiment quatre ans de silence, entame alors un cours d'histoire politique contemporaine sur un ton vif et professoral, dans un silence absolu. Assise à la barre sur une chaise de velours rouge, elle énumère son plan et brandit ses documents, toujours à cheval entre cordialité et colère. La voix ne vrille pas. «Comment puis-je être poursuivie sur la base d'une décision politique ?» lance-t-elle après avoir fustigé durant de longues minutes «les déclarations intempestives et abusives de la communauté internationale» lors de la crise post-électorale de 2010-2011, «qui a encouragé, par leur assistance à la rébellion, les violences en Côte-d'Ivoire en massacrant les populations, en éventrant les prisons…» La liste des récriminations est longue. Nicolas Sarkozy en prend pour son grade («De quoi se mêlait-t-il ? Nous menions des débats entre Ivoiriens !»), tout comme le «candidat perdant», l'actuel président Alassane Ouattara, qui «a refusé de respecter le choix du peuple».

Courroux. Depuis deux mois, 83 personnes, dont elle, font face à des chefs d'accusation très lourds - tribalisme, xénophobie, constitution de bandes armées, participation à un mouvement insurrectionnel, etc. -, résumés par celui d'«atteinte à la sûreté de l'Etat». En question, leur comportement durant la crise qui a suivi le second tour contesté de la présidentielle, le 28 novembre 2010. Plus de 3 000 personnes ont péri en cinq mois. Ce procès est une «grande blague, lance Me Habiba Touré, qui défend Simone Gbagbo. En trois ans d'instruction, on n'a rien. Ni preuves ni faits matériels, rien.» Le courroux de l'avocate franco-ivoirienne reflète l'impression générale. Depuis le début du procès, la justice ivoirienne se présente sous son visage le moins avantageux. «On s'attendait à un manque de sérieux, mais pas de cette amplitude», se désole un cadre de l'ONU, sous couvert d'anonymat.

Seuls les partisans de Laurent Gbagbo sont poursuivis devant les tribunaux, suscitant l'ire de la société civile, qui critique une «justice des vainqueurs», inféodée au politique. Aux assises d'Abidjan, ce sont donc uniquement les «pro-Gbagbo» que l'on entend. Après un premier mois durant lequel les lampistes ont été entendus, les accusés de plus gros calibre se suivent à un rythme fou depuis trois semaines. Un ex-Premier ministre et sept anciens ministres ont défilé en à peine deux demi-journées, aucun d'eux ne passant plus d'une heure à la barre. Les rares témoins convoqués ne semblent pas sûrs d'eux. A la grande satisfaction d'une défense très offensive, qui prend un malin plaisir à les titiller. «Si j'ai bien compris, vous réussissez à reconnaître Michel Gbagbo dans une voiture aux vitres teintées, à 21 heures, alors qu'il n'est pas sorti du véhicule ?» demande Me Rodrigue Dadjé à l'un d'entre eux. «Oui», répond le témoin, qui tentait de confondre Michel Gbagbo, fils de l'ex-président issu d'un premier mariage avec une Française. Gloussement général.

«Arrangement». Les audiences s'apparentent à des conversations courtoises entre un juge très obligeant et des accusés non moins polis qui lui donnent du «monsieur le président» à tour de bras. Questionné sur sa xénophobie et son tribalisme présumés, Michel Gbagbo déclame sérieusement que «l'amour et l'amitié n'ont pas de frontières», lui-même étant «le fruit du métissage». Aucune preuve matérielle - vidéos, bandes sonores, articles, rapports, écoutes - n'étant présentée, les accusés en profitent pour livrer leur version de la crise, et les assises se muent alors en tribune politique. Pour Aboudramane Sangaré, ex-ministre de Gbagbo, la victoire de Ouattara est «contestable». Et l'ONU épinglée pour avoir validé les résultats d'une commission électorale acquise à l'actuel chef de l'Etat. Alors que, dans le même temps, le Conseil constitutionnel qui a consacré Laurent Gbagbo était dirigé par un proche de celui-ci. Certains accusés sont interrompus en pleine envolée lyrique par le président de la cour, qui leur demande d'arrêter leur «show». Le même président doit aussi rappeler aux avocats de la partie civile, soit l'Etat ivoirien, qu'il serait bon de «poser des questions qui portent sur du réel, pas sur de la fiction».

Alors que le président Ouattara, questionné sur la justice des vainqueurs, a rappelé en janvier qu'il disposait de «prérogatives en matière de grâce et d'amnistie», de nombreux observateurs craignent que le procès ne soit qu'un simulacre, dont le résultat sera de toute façon annulé par le chef de l'Etat. «C'est la théorie la plus plausible. Nous sommes dans une culture de l'arrangement continuel, observe Rodrigue Koné, sociologue politique ivoirien. On prend des raccourcis pour accélérer la réconciliation, pour aborder sereinement l'élection présidentielle [d'octobre prochain, ndlr]. Ce qui est regrettable, c'est que cela semble confirmer qu'il est inutile de passer par la case justice en Côte-d'Ivoire.» D'autant que «l'instruction pour les crimes de sang pendant la crise est en stand-by depuis des mois», déplore Antonin Rabecq, représentant de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme en Côte-d'Ivoire. Sur les 3 000 victimes de 2010-2011, une seule a pour l'instant eu voix au chapitre : l'Etat de Côte-d'Ivoire.