Menu
Libération
Analyse

Combattre les terroristes, un casse-tête régional

L’instabilité du Sahel et le difficile contrôle des frontières facilitent l’expansion de Boko Haram au-delà du Nigeria.
Des réfugiés montent dans les cars du HCR, d’autres protestent contre les rations de nourriture. (Photo Olivier Laban-Mattei. MYOP pour UNHCR)
publié le 26 février 2015 à 20h06

La guerre contre Boko Haram, «le porteur du virus radical», déborde toujours plus les frontières du Nigeria et risque de s'enliser. C'est en substance le jugement d'une source sécuritaire jointe à Niamey, la capitale du Niger, jeudi. Depuis les premières attaques début février à Bosso et Diffa, deux villes dans l'est du Niger situées à la frontière nigériane, par des éléments de Boko Haram que l'armée du Niger a qualifiés«d'adolescents en haillons» et que les troupes tchadiennes ont repoussés, les attentats kamikazes se sont multipliés sur le sol nigérien.

«Répondant». Même si certains ont été déjoués, «ce véhicule militaire» qui a sauté sur «une mine il y a trois jours» faisant trois morts dans la zone de Bosso porte «la marque» de Boko Haram, note cette même source. Pour le colonel Mahamadou Abou Tarka, à la tête de la Haute Autorité pour la consolidation de la paix, joint jeudi à Niamey, cette situation «n'est pas étonnante car elle matérialise ce que nous imaginions : une guerre asymétrique, par le biais d'engins explosifs qui seront disséminés sur la zone par des types en moto. C'est une arme de pauvre, l'engin explosif artisanal, car je ne pense pas qu'il s'agisse de mines».

Le colonel Tarka estime que cette situation de guerre «larvée» risque de durer car le Nigeria ne donne pas de signes «tangibles» - hormis «quelques déclarations politiques» - de sa volonté «de lutter efficacement» contre Boko Haram (lire ci-contre). De sorte, dit-il, «que nous sommes dans une situation de passivité puisque dépendante du Nigeria et de la Force mixte multinationale».

Surtout que, selon une source européenne, cette coalition du Niger, du Nigeria, du Tchad, du Cameroun et du Bénin «ne pourra pas monter jusqu'aux 8 700 hommes» d'ici au 1er avril, comme annoncé lors de sa création, fin janvier. D'abord parce que le Niger n'a pas les moyens «de relever ses troupes stationnées, avec le risque de mettre le reste de ses effectifs sous tension permanente», ajoute cette source. Pour le Cameroun, la situation serait un peu plus favorable, puisque les cinq brigades d'intervention rapide engagées contre Boko Haram possèdent déjà «une solide formation militaire» et sont encadrées par des Israéliens. Mais quid du Tchad ? Pour cette source européenne, les forces tchadiennes ont montré une prudence inhabituelle car elles se coordonnent avec «Barkhane», l'opération française au Sahel de lutte contre le terrorisme.

Ce serait grâce à une cellule de renseignement de Barkhane, protégée par une section de parachutistes sur la zone de Diffa, qu'aurait été évitée la prise de Bosso et Diffa par Boko Haram les 6 et 7 février. Il n'en demeure pas moins que la situation «peut devenir scabreuse pour toute la sous-région, et notamment pour le Niger, car il est difficile d'avoir une lecture cohérente de ces événements et de leurs conséquences sécuritaires et sociales à moyen terme», juge le doyen Tidjani, professeur de sciences politiques à Niamey.

Reste l'inconnue nigériane, à moins d'un mois de l'élection présidentielle. A Niamey, on se désole du manque «de répondant» du Nigeria et du risque élevé de déstabilisation du Niger, entouré de voisins qui «dysfonctionnent». L'armée du Nigeria, la plus puissante de la région - du moins sur le papier -, perd presque toutes les batailles dans lesquelles elle s'est engagée malgré un budget de plus de 5 milliards de dollars (4,44 milliards d'euros), mais dont «l'évaporation» serait estimée à la moitié. Aujourd'hui, le Niger - l'une des deux démocraties, certes imparfaites, de la région avec le Bénin - semble le pays le plus fragilisé.

Convois. Par ailleurs, la frontière malienne bruisse de rumeurs de plus en plus insistantes au sujet de tribus touaregs. Assagies depuis les luttes des années 90, certaines seraient disposées à reprendre le combat en se servant de l'alibi islamiste «car c'est l'outil qui marche le mieux en ce moment», constate amèrement un observateur.

A la frontière libyenne les forces spéciales françaises interceptent les convois d'armes et de drogues «mais le trafic n'a pas cessé», souligne une source militaire, qui ajoute que, même si Barkhane est à la manœuvre, la force française «ne peut pas régler tous les problèmes de la région».

Quant à la frontière algérienne, «une zone de non-droit», les gisements aurifères, dont certains totalement sauvages, sont exploités par des bandes armées qui pratiquent l'extorsion et le pillage des ressources d'un Etat qui n'a, avec 15 000 hommes (sapeurs pompiers inclus), pas les moyens de contrôler un territoire deux fois plus grand que celui de la France.