Une économie au bord de la récession et un nouveau scandale de corruption impliquant le Parti des travailleurs (PT), sa propre formation : pour la présidente brésilienne, Dilma Rousseff, réélue sur le fil en octobre, c'est la «tempête parfaite», comme disent les analystes. Déclenchée en mars 2014 par la police fédérale, l'enquête sur les détournements de fonds au sein du géant pétrolier Petrobras (contrôlé par l'Etat) fait trembler le palais du Planalto, à Brasília. Baptisée «Lava Jato» (Kärcher), à cause de la station-service qui servait de paravent à un vaste réseau de blanchiment de fonds, l'opération a révélé les liaisons dangereuses entre les partis politiques brésiliens, qui nomment les directeurs de Petrobras, et les empreiteiras, les groupes de BTP en contrat avec le pétrolier, par ailleurs grands donateurs des campagnes électorales.
Selon des prévenus, passés à table dans l'espoir d'obtenir une remise de peine, les empreiteiras payaient des pots-de-vin pour décrocher des contrats surfacturés avec Petrobras. Pour alimenter leurs caisses noires, le PT et deux formations de sa coalition, dont celle du vice-président Michel Temer, prélevaient des commissions de 1 à 3% sur le montant de ces contrats.
Seuil de tolérance. Fragilisée, la chef de l'Etat n'a pu empêcher l'installation, jeudi, d'une commission d'enquête parlementaire dont la création a même obtenu l'adhésion de nombreux députés de la coalition gouvernementale. Et la tension monte dans l'attente de la remise, mardi par le procureur général, de l'acte d'accusation contre les politiciens qui auraient bénéficié des fonds détournés de Petrobras. Le ministère public évalue ces détournements à 600 millions d'euros au moins. La Cour des comptes, à près d'un milliard. La police fédérale parle, elle, de plus de 3 milliards…
Arrivée au pouvoir en 2011, la protégée de l’ex-président Lula s’était forgée une image de probité en limogeant sept ministres accusés de malversations. Aujourd’hui, 77% des Brésiliens estiment qu’elle était au courant des détournements d’argent à Petrobras, et ils ne sont plus que 23% à approuver sa gestion. Jamais sa cote de popularité, qui a reculé de 19 points en deux mois, n’était tombée aussi bas, pas même après la fronde populaire de 2013.
En 2005, le «Mensalão», une affaire d’achat de voix et de financement occulte qui s’était soldée par la condamnation de figures du PT, avait déjà brouillé l’image du parti de Lula, tenu jusqu’alors pour incorruptible. Avec le scandale du «Petrolão», le PT persiste et signe. Mais le seuil de tolérance des Brésiliens, échaudés par les incertitudes économiques, est plus bas. La corruption est désormais considérée comme le principal problème du pays, derrière la santé.
L'opposition en profite pour évoquer, à demi-mot et sans trop y croire, la possibilité d'une procédure de destitution à l'encontre de la Présidente. Lula a condamné une «tentative de déstabilisation» qui serait ourdie par le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, opposition de centre droit) d'Aécio Neves, candidat malheureux à la dernière présidentielle.
Mais, pour certains juristes, la Présidente est, juridiquement du moins, passible de destitution. Cet avis ne fait pas l’unanimité car, pour l’instant, Dilma Rousseff n’est pas directement mise en cause dans le Petrolão. Ministre de l’Energie puis chef de cabinet de Lula, elle a présidé, il est vrai, le conseil d’administration de Petrobras pendant les deux mandats de l’ex-syndicaliste (2003-2010). A ce titre, elle avait approuvé l’acquisition controversée d’une raffinerie au Texas, qui a engendré des pertes colossales pour Petrobras (710 millions d’euros). Mais elle affirme s’être basée sur le rapport incomplet d’un ancien directeur accusé de corruption.
«Solides soutiens». Pour Eliane Cantanhêde, éditorialiste au journal O Estado de São Paulo, le contexte politique est très différent de celui qui avait conduit à la destitution (également pour corruption) du président Fernando Collor en 1992. «Aujourd'hui, une telle démarche provoquerait une commotion dans le pays, analyse-t-elle. Le Parti des travailleurs est un parti fort, implanté sur tout le territoire et qui, malgré une corruption devenue systémique, jouit encore de solides soutiens dans les syndicats, l'intelligentsia, la jeunesse et même le patronat.» La commentatrice soupçonne le gouvernement de tenter, en sous-main, de freiner l'opération «Lava Jato», au nom des impacts qui se font déjà sentir sur l'économie. Pivot d'une industrie qui pèse 13% du PIB, Petrobras a paralysé des projets entiers et écarté de ses marchés les vingt-trois empreiteiras en cause. Les licenciements seraient imminents dans ces groupes, qui emploient 500 000 personnes.
Le 20 février, Dilma Rousseff est sortie de sa réserve pour imputer le scandale… au PSDB, qui aurait couvert la corruption à Petrobras du temps où il était au pouvoir, de 1995 à 2002, sous les deux mandats de Fernando Henrique Cardoso. «Avec nous, la police fédérale est indépendante», a-t-elle martelé. Et ce n'est pas au goût de tous.