Pour les uns, ce nouvel appel d’Abdullah Ocalan, le leader charismatique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) condamné à la prison à vie, annonce «un accord historique pour la paix» qui mettrait fin à trente ans de guerre contre la rébellion kurde qui a fait près de 40 000 morts. D’autres au contraire dénoncent «une manœuvre avec la complicité d’Ocalan» du président turc islamo-conservateur, Recep Tayyip Erdogan, à trois mois des élections législatives où l’AKP, le parti au pouvoir depuis 2002, est donné grand favori.
«Nous nous rapprochons d'un règlement de ce conflit vieux de trente ans sous la forme d'une paix définitive, et notre objectif premier est de parvenir à une solution démocratique», a estimé le chef rebelle, appelant «le PKK à organiser un congrès extraordinaire au printemps pour prendre une décision stratégique et historique de désarmement». Le message, écrit depuis sa prison d'Imrali, au large d'Istanbul, a été lu samedi par Sirri Süreyya Onder, député du HDP (le Parti de la démocratie des peuples, à majorité kurde - 28 sièges au Parlement sur 535). Recep Tayyip Erdogan a qualifié ce message de «très, très important».
Le processus de paix avait été engagé en décembre 2013 par des négociations directes entre le pouvoir et Ocalan, ainsi qu'avec les maquis du PKK à Qandil, en Irak du nord. Abdullah Ocalan avait, le 21 mars 2014 (pour Newroz, le nouvel an kurde), envoyé un message dans lequel il annonçait déjà «la fin de la lutte armée et le début du combat politique». Aucun accrochage armé majeur n'a eu lieu depuis, mais le processus s'était enlisé. Il prend un nouveau départ.
Les responsables du gouvernement et les médias proches du pouvoir présentent cette déclaration comme «une solution au problème kurde». «Trahison devant Atatürk», clame en revanche Sözcü, quotidien populaire de la droite nationaliste. L'opposition nationaliste se déchaîne, accusant l'AKP et le HDP de s'être entendus sur un statut d'autonomie pour les Kurdes dans l'Est et le Sud-Est. Dans son message, le leader kurde a évoqué dix mesures à ses yeux nécessaires à une paix durable, y compris la rédaction d'une nouvelle Constitution offrant «un statut juridique pour les Kurdes» et reconnaissant «les droits collectifs et culturels» de ces 15 millions de citoyens - sur 70 millions en Turquie.
Mais il reste de grands obstacles. «Le gouvernement est en train de faire passer au Parlement une loi de sécurité interne véritablement liberticide, et un accord de paix ne se fait pas dans ces conditions», rappelle Nuray Mert, politicologue, spécialiste du problème kurde. Une partie du PKK, notamment ceux encore dans les montagnes, s'inquiète de voir le leader brader la cause. Mustafa Karasu, numéro 3 du PKK, a annoncé samedi depuis Qandil que «le PKK, dans les conditions actuelles, n'acceptera jamais de se désarmer». Mais Recep Tayyip Erdogan, qui a besoin du soutien des élus kurdes pour l'instauration d'un régime présidentiel, et le chef rebelle emprisonné, Abdullah Ocalan, qui rêve de sortir un jour de prison, veulent l'un et l'autre un accord.