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Libération

La Moldavie dans l’œil de Moscou

La possible victoire des séparatistes, le 22 mars, dans la région de Gagaouzie pourrait à nouveau déstabiliser un pays où la Russie a déjà placé ses pions.
publié le 11 mars 2015 à 21h26

Sur une énorme affiche, Irina Vlah affiche un large sourire. Habillée en jeans, la jeune candidate pour le poste de gouverneur de la Gagaouzie promet un avenir radieux «ensemble avec la Russie». Microrégion située au sud de la Moldavie, elle-même coincée entre la Roumanie et l'Ukraine, la Gagaouzie compte 150 000 habitants, des turcophones christianisés et très russophiles. Elle pourrait être le prochain foyer de tension en Moldavie après l'élection locale du 22 mars, car la candidate rêve d'une autonomie plus grande pour sa région. «Il existe le projet d'une Grande Gagaouzie, qui pourrait s'agrandir vers d'autres zones de la Moldavie, voire en Ukraine voisine»,craint le politologue Cornel Ciurea. Ce ne serait pas la première fois que la Moldavie est confrontée à ce genre de problèmes.

République fantôme. Pays grand comme la Belgique et peuplé de 4 millions de roumanophones (majoritaires) et de russophones, la Moldavie est une ancienne république soviétique qui a obtenu son indépendance au début des années 1990. Craignant une possible réunification avec la Roumanie voisine, la Russie a provoqué en 1992 un mouvement séparatiste en Transnistrie, une langue de terre habitée par des russophones, qui déclara alors son indépendance. Après une guerre qui a fait plus de 1 000 morts, la Transnistrie est depuis plus de vingt ans une république fantôme, reconnue par personne - même pas par le Kremlin - mais qui abrite une base importante de l'armée russe. «Les troupes russes de Transnistrie sont là pour empêcher la Moldavie de se tourner vers l'Occident»,met en garde le général americain Philip Breedlove, commandant des troupes de l'Otan en Europe. «Si on regarde de plus près, cette guerre oubliée de 1992 était une sorte de répétition générale de ce qui se passe actuellement dans l'est de l'Ukraine», renchérit un diplomate en poste à Chisinau, la capitale moldave. «Moscou n'a que l'embarras du choix quant aux leviers à manier pour déstabiliser la Moldavie», explique le journaliste Armand Gosu. Aujourd'hui, l'action russe s'intensifie, car la Moldavie a commis le pire péché : se rapprocher de l'Union européenne (UE).

Les autorités moldaves ont signé l'année dernière un accord d'association avec l'UE. La réponse russe ne s'est pas fait attendre : embargo sur tous les produits alimentaires moldaves. L'économie du pays, largement agricole, le subit de plein fouet, même si l'Europe a ouvert ses portes pour les produits moldaves. «Les conditions européennes sont beaucoup plus strictes», déplore Mihai Negru, commerçant. Par ailleurs, depuis le début de l'année, la petite république moldave est secouée par une crise financière sans précédent, qui a vu le leu, la monnaie locale, baisser de près de 20% face à l'euro. L'une des raisons de cette chute est la décision pour le moins étrange de plusieurs banques moldaves de transférer en Russie près de 1 milliard de dollars, soit l'équivalent d'un cinquième du PIB. Une enquête est en cours, mais il y a peu d'espoir que l'argent soit retrouvé. Avec une économie exsangue, la Moldavie survit surtout grâce à l'argent envoyé par ses ressortissants partis en Europe ou en Russie, un phénomène qui touche un Moldave sur quatre. De plus, la crise financière s'est doublée d'une crise politique.

Les législatives du 30 novembre ont été remportées par trois formations pro-européennes. Après deux mois et demi de tractations, les trois partis n'ont pas réussi à trouver un accord pour former un gouvernement. En conséquence, la Moldavie est dirigée aujourd'hui par un gouvernement minoritaire, qui a obtenu la confiance du Parlement grâce au soutien du Parti communiste, qui a souvent joué le jeu de Moscou par le passé. «C'est une décision irresponsable, alors que nous vivons dans une région tellement dangereuse et que le conflit en Ukraine se rapproche de nos frontières», s'insurge Iurie Leanca, ancien Premier ministre et artisan du rapprochement de la Moldavie avec l'UE, soulignant que «le Parti communiste voudrait en outre renégocier une partie des accords avec l'Europe».

Pour couronner le tout, la Russie contrôle, d’une manière ou d’une autre, près des deux tiers des chaînes de télévision du pays. Toutes martèlent un même message anti-européen, à tel point que le président moldave, Nicolae Timofti, a supplié son homologue roumain, Klaus Iohannis, d’aider la Moldavie à combattre la propagande russe en lançant des chaînes de radio et de télévision en roumain.

Oligarques. Principal avocat de la cause moldave en Europe, la Roumanie a demandé aux autorités moldaves d'accentuer la lutte contre la corruption, car une grosse partie de l'économie est contrôlée par des oligarques au profil douteux. Bucarest, dont les efforts anticorruption portent leurs fruits, est devenu un modèle dans la région, avec une dizaine d'anciens ministres condamnés. La même recette pourrait-elle marcher en Moldavie ? Le politologue Cornel Ciurea soupire : «Comment voulez-vous que nos oligarques soutiennent le combat anticorruption et l'Europe lorsqu'ils voient ce qui se passe en Roumanie, ou plein d'hommes d'affaires se sont retrouvés derrière les barreaux ?» C'est aussi pour cela que nombre d'entre eux regardent toujours davantage vers Moscou.