Présent mercredi soir devant le commissariat de Ferguson (Missouri) à la manif contre le racisme policier, l'activiste DeRay McKesson a soudain tweeté, peu après minuit (heure locale) : «Somebody just shot the police !» Il a ajouté : «On dirait qu'il y a eu quatre tirs. Un officier est blessé. C'est dingue.»
Deux policiers venaient d'être grièvement atteints : l'un à l'épaule, la balle ressortant par le dos, l'autre au-dessous de l'œil, la balle ressortant derrière l'oreille. Mais «leurs vies ne sont pas en danger» et ils sont sortis de l'hôpital, a indiqué jeudi, selon l'AFP, la police du comté de Saint-Louis. Son chef, Jon Belmar, a dénoncé une «embuscade», affirmant que le tireur était planqué dans la manif, ce que McKesson a contesté : «Le tireur n'était pas avec les manifestants. Il était en haut de la colline.»
Faciès. La tension est ainsi revenue à son plus haut niveau dans la ville symbole du racisme impuni depuis qu'un Noir de 18 ans sans arme, Michael Brown, a été descendu par les douze balles du policier blanc Darren Wilson, le 12 août 2014. Le flic, qui a quitté la police, a été absous par un «grand jury» local en novembre, puis par une enquête fédérale qui a conclu, le 4 mars, que cette mort, «bien que tragique, ne montre pas, au-delà d'un doute raisonnable, de comportement susceptible de poursuite judiciaire».
La police n'a pas bénéficié de la même clémence : une autre enquête du ministère de la Justice, le 4 mars, l'a étrillée pour sa pratique routinière du délit de faciès et d'abus racistes. Sous la pression, son chef, Thomas Jackson, a démissionné mercredi, mais il quittera son job le 19 mars avec une indemnité de 96 000 dollars (son salaire annuel, environ 91 000 euros) et la bénédiction du maire, qui l'a qualifié d'«homme honorable».
Rien de tel pour chauffer les 150 manifestants de mercredi. Car malgré la démission de six cadres municipaux depuis le rapport, la colère demeure à Ferguson, où le racisme répété de la police n'est pas «typique de ce qui se passe dans le pays mais n'est pas un incident isolé», selon Barack Obama.
L'enquête fédérale a démontré le «climat malsain» créé par la police (à majorité blanche) dans cette ville, à deux tiers noire, de 21 000 habitants : «Sous pression de la municipalité, [ce] n'était plus un service public mais un outil pour gagner de l'argent.» Comment ? En multipliant les amendes, les flics faisant des concours pour savoir qui en donnerait le plus. Leur cible : les Noirs. Dans une population à 67% afro-américaine, de 2012 à 2014, 90% des amendes et 93% des arrestations ont concerné des Noirs, également victimes d'usage excessif de la force, avec des chiens d'attaque (utilisés seulement contre eux) et des pistolets Taser. Les policiers inventaient des infractions : un type assis dans sa voiture s'est pris huit PV, dont un pour s'être présenté comme Mike et non Michael, son vrai prénom.
Harcèlement. Il y a eu des courriers racistes entre policiers ou employés municipaux, l'un estimant en 2008 qu'Obama ne durerait pas à son poste, car «quel Noir a un boulot stable pendant quatre ans ?» Dans un autre mail, un homme demandait des allocations chômage pour son chien au motif qu'il est «de couleur, chômeur, fainéant, ne parle pas anglais et ne sait pas qui est son père». Estimant que ce harcèlement a pour «seule explication […] les préjugés racistes», le ministre de la Justice, Eric Holder, lui-même noir, a envisagé vendredi une éventuelle dissolution de la police locale. Mais c'était avant qu'elle soit prise pour cible dans cette agression qui, a dit Holder jeudi, «menace les réformes que les manifestants non violents réclament».