Vêtus de jaune et vert, les couleurs nationales, ils montent vers la Paulista, la principale avenue de São Paulo, épicentre de la contestation qui fait vaciller la présidente Dilma Rousseff et son Parti des travailleurs (PT), au pouvoir depuis douze ans au Brésil.
C'est «l'élite blanche», comme dit la gauche pour disqualifier ses opposants : près de deux millions de manifestants qui ont défilé, dimanche, dans tout le pays, pour dénoncer la corruption au sein de la compagnie pétrolière nationale Petrobras, au centre d'un système de financement illicite de trois partis de la coalition au pouvoir, dont le PT. Voire pour demander la destitution de «Dilma», laborieusement réélue en octobre. L'avant-veille, ils n'avaient été que quelques dizaines de milliers à descendre dans la rue pour défendre la Présidente, à l'appel de la Centrale unique des travailleurs, liée au PT.
Une véritable démonstration de force de la droite, qui a même réussi à mobiliser hors de son bastion de São Paulo. Un coup d’éclat pour les trois obscurs groupements – Le Mouvement du Brésil libre, Vem Pra Rua et Revoltados Online – qui avaient convoqué la mobilisation sur les réseaux sociaux et se défendent de tout lien avec la principale formation d’opposition, le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, centre droit).
Recyclage de promesses
Amélia, une prof, se déchaîne contre un PT qui «se disait différent des autres mais qui, une fois au pouvoir, a appris à voler à son tour». «On fermait les yeux tant que l'économie allait bien mais là, le pays est en crise», renchérit son compagnon, Paulo. Un peu essoufflé, ce quinqua accuse aussi le parti de Lula de se maintenir au pouvoir en «achetant le vote des pauvres avec le Bolsa Família», une aide financière pour les plus démunis.
La foule qui défie la pluie est exaltée. Concerts de sifflets et de vuvuzelas. La colère gronde. «Dilma, dehors ! Lula, dehors ! PT, dehors !», scandent inlassablement les manifestants. Pour la police, ils sont un million, contre «seulement» 210 000, selon le décompte de l'institut de sondage Datafolha. Beaucoup, issus des couches aisées ou de la classe moyenne, sont des électeurs d'Aécio Neves, candidat malheureux à la dernière présidentielle, qui a appelé la population à manifester. Mais il y a aussi des déçus du PT, souligne l'éditorialiste Merval Pereira, qui rappelle que la popularité de la Présidente, aussi plombée par les mesures d'austérité prises pour relancer l'économie, est en chute libre.
Retranchée à Brasília, Dilma Rousseff ne s'est pas prononcée, laissant le soin à deux de ses ministres de le faire. Leur intervention a été fraîchement reçue par un concert de casseroles dans tout le pays. Miguel Rossetto, ministre du développement agraire, et José Eduardo Cardozo, ministre de la Justice, se sont contentés de recycler la vieille promesse d'une réforme du financement des campagnes électorales afin d'interdire les donations d'entreprises. Les groupes de BTP surfacturaient en effet leurs contrats avec Petrobras pour reverser un pourcentage aux partis. «Le gouvernement n'a plus rien à dire et semble ne pas prendre la mesure de la gravité de la situation», se désole sur son blog le journaliste Ricardo Kotscho, qui dirigea le bureau de presse de la présidence sous Lula.
«Dilma a détruit le pays»
Sur la Paulista, c'est la cacophonie. Il y a ceux qui appellent à la destitution de la Présidente et ceux qui sont contre. On trouve même quelques nostalgiques de la dictature militaire (1964-1985). Elena défend ce qu'on appelle ici l'«impeachment». «[L'ancien président] Fernando Collor a été destitué pour bien moins que cela en 1992», justifie cette publicitaire de 33 ans, pour qui «le PT a détruit Petrobras et institutionnalisé la corruption».
Carolina, elle, est contre. «Pour l'instant, Dilma Rousseff [qui a présidé le conseil d'administration du géant pétrolier entre 2003 et 2010, ndlr] n'est pas directement en cause dans le scandale, dit cette architecte. Nous devons consolider notre démocratie qui est encore jeune.» Carolina récuse le discours du PT «qui veut jeter l'élite contre le peuple». «Ici, il y a certes des gens qui campent sur leurs privilèges, mais tout le monde n'est pas de l'élite.»
Luiz par exemple. Ce «catador» trie les déchets pour les recycler. Il a voté «Lula deux fois puis Dilma deux fois». Il s'en excuse presque. Luiz fait partie des 40 millions de Brésiliens que le PT a tirés de la pauvreté. Aujourd'hui, l'homme, visage labouré par les rides mais voix forte, a peur de s'appauvrir à nouveau. «Tout a renchéri, Dilma a détruit le pays.» Luiz s'indigne cependant que les manifestants «ne dénoncent que la corruption du PT. Toute la classe politique est corrompue.» Lui qui était «contre la dictature» en appelle aujourd'hui à l'armée, «pour mettre de l'ordre dans le pays».