Jérôme Heurtaux est politologue à l’institut de recherche sur le Maghreb contemporain à Tunis.
Vous vivez à Tunis. L’attaque d’aujourd’hui était-elle prévisible ? Avez-vous été surpris ?
Il s’agit d’une demi-surprise. La forme et le lieu sont surprenants et le bilan humain considérable. Mais la Tunisie est confrontée au terrorisme jihadiste depuis pas mal de temps. Des groupes jihadistes occupent le mont Chaambi à la frontière algérienne. Trois militaires tunisiens viennent d’y être abattus. L’attaque d’hier est d’une ampleur nouvelle : elle a eu lieu à Tunis, près d’un lieu de pouvoir, elle a visé des étrangers. Quand les terroristes s’attaquent à des étrangers ou à des touristes, c’est un signal fort.
A quoi ont-ils voulu s’attaquer ?
En ciblant un musée et ses visiteurs, à l’économie certainement. Veulent-ils créer un nouveau marasme et en recueillir les fruits ? Ont-ils voulu cibler les valeurs qu’incarne le tourisme de masse? Ou «simplement» l’Occident ? Il est encore un peu tôt pour le dire. En tout cas, il est probable que l’attaque va provoquer des annulations en masse chez les tour-opérateurs. Le tourisme a une fonction économique et symbolique très forte en Tunisie, il véhicule une image positive du pays qui attire des investisseurs dans de nombreux secteurs.
Qui a commis cet attentat?
Aqmi peut-être, ou des soldats de l’Etat islamique, de nombreux Tunisiens ont rejoint l’EI. Les terroristes sont-ils venus de Libye ? Après l’interdiction du parti d’Ansar al-Charia, de nombreux radicaux tunisiens sont partis en Libye.
Quelles vont être les conséquences politiques de cette attaque ?
L’attentat intervient dans un contexte très particulier, au cœur d’un débat sur une nouvelle loi antiterroriste. Le débat est fébrile, l’enjeu très important. Hier après-midi, une députée de Nidaa Tounes, le parti arrivé en tête des dernières législatives, a tweeté que les droits de l’homme ne concernaient pas les terroristes. Il ne faut pas que le gouvernement tombe dans ce piège. Le risque de radicalisation s’accroîtrait. Le gouvernement va devoir trouver un cadre antiterroriste efficace qui continuera de respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales.
Quel sera l’impact de l’attentat sur le parti Ennahdha ?
Il n’a jamais été démontré qu’Ennahdha ait été impliqué de près ou de loin dans un acte terroriste. En revanche lorsqu’il était au pouvoir, il a laissé prospérer les mouvements radicaux. Je ne vois pas d’effet direct sur Ennahda pour l’instant sauf que le parti sera sous pression : il va devoir clarifier plus encore sa position vis-à-vis des jihadistes. Mais pour moi l’enjeu majeur se situe ailleurs : après un événement aussi considérable, quelle va être la réaction des Tunisiens ? Depuis la révolution, ils ont construit un nouvel ordre démocratique avec l’adoption l’an dernier d’une constitution, la plus libérale du monde arabe, des élections validées par les observateurs étrangers, la formation d’un gouvernement de coalition auquel participe le principal parti d’opposition. Tout cela ne tient qu’à un fil.
Êtes-vous inquiet ?
J’ai envie d’y croire. Les Tunisiens sont sortis d’une crise politique majeure en 2013 patiemment, en trouvant des solutions politiques. En fait depuis 2010, les Tunisiens s’en sont toujours sortis. Les citoyens tunisiens ont les instruments et la détermination pour affronter l’événement, apaiser la colère tout en répondant au défi terroriste mais sans revenir aux pratiques du régime de Ben Ali. L’action des agences de l’Etat devra être la plus transparente possible. Et il faut espérer qu’il ne s’agit que d’un acte isolé.