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Libération
Analyse

Retrait américain du Yémen : l’échec de la stratégie Obama

Après les attentats de Sanaa, vendredi, l’annonce de l’évacuation des derniers marines marque l’insuccès de la lutte contre Al-Qaeda dans la région.
publié le 22 mars 2015 à 20h26

C'est un camouflet pour Barack Obama qui, il y a six mois encore, présentait la lutte antiterroriste au Yémen comme un «succès», un modèle à suivre pour les opérations contre l'Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie.

Alors que le pays est aujourd'hui au bord d'une guerre civile confessionnelle, les Etats-Unis ont décidé ce week-end d'évacuer leurs derniers soldats présents sur place. «En raison de la détérioration sécuritaire, le gouvernement américain a transféré temporairement son personnel restant au Yémen», a indiqué samedi soir le département d'Etat dans un communiqué.

Commandos. Selon des sources militaires, le dernier contingent américain, composé notamment d'une centaine de commandos des forces spéciales, était stationné sur la base aérienne Al-Anad, dans le sud du pays. Il avait pour mission principale la formation des unités antiterroristes de l'armée yéménite. En fin de semaine dernière, de violents combats ont éclaté à proximité de la base. Des militants d'Al-Qaeda dans la péninsule Arabique (Aqpa) ont notamment pris le contrôle, pendant quelques heures, de la ville voisine d'Al-Houta, forçant le Pentagone à réagir.

L’évacuation des derniers marines marque un revers supplémentaire dans la lutte contre Aqpa, considérée par Washington comme la branche la plus dangereuse et la mieux organisée de la nébuleuse terroriste. Ces dernières années, avec l’accord du gouvernement yéménite, les Etats-Unis ont multiplié les frappes de drones contre les militants d’Al-Qaeda. Plus d’une centaine de raids ont ainsi été menés depuis 2009, selon la New America Foundation, basée à Washington. Mais la prise de Sanaa, la capitale, en septembre, puis le renversement en janvier du président Hadi par des milices houthies ont fortement compromis la coopération antiterroriste.

Le mois dernier, les Etats-Unis ont décidé de fermer leur ambassade au Yémen, centre névralgique pour les opérations américaines dans la région. Plus de 200 employés ont été évacués. Parmi eux, plusieurs douzaines d'agents de la CIA chargés de traquer les militants d'Al-Qaeda en étroite collaboration avec les services de renseignement yéménites. Samedi soir, le département d'Etat a assuré que Washington continuerait à «surveiller activement les menaces terroristes venues du Yémen et à agir pour les mettre en échec». Dans les faits, pourtant, les capacités américaines sont désormais fortement réduites, même si les drones utilisés par la CIA et le Pentagone sont basés en Arabie Saoudite.

Sur le plan diplomatique, le retrait des derniers soldats américains illustre l’inquiétude grandissante de la communauté internationale face à la détérioration de la situation au Yémen. Dimanche, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni en urgence à New York. Dans une déclaration adoptée à l’unanimité, les «Quinze» ont apporté leur soutien au président Hadi, condamné les actions des milices houthies et appelé toutes les parties au dialogue politique, notamment sous l’égide des Nations unies.

Chaos. Les événements de ces derniers jours n'incitent toutefois pas à l'optimisme. Dimanche, les rebelles chiites houthis, qui contrôlent déjà le nord du pays et la capitale, ont lancé une offensive vers le sud. S'emparant d'une partie de Taëz, ville stratégique sur la route d'Aden, la grande cité du Sud où est retranché le président yéménite. Samedi, ce dernier s'est exprimé à la télévision dans sa première intervention depuis sa fuite de la capitale en février. Dans ce discours, Abd Rabbo Mansour Hadi s'en est pris ouvertement à l'Iran chiite, accusé de soutenir les rebelles houthis.

Au milieu de ce chaos, qui menace de basculer vers une guerre civile confessionnelle, quatre kamikazes ont activé leurs explosifs vendredi dans deux mosquées chiites de Sanaa, faisant plus de 140 morts et 350 blessés. Ces attentats, les plus meurtriers jamais commis dans la capitale yéménite, ont été revendiqués par l'Etat islamique. Du côté de Washington, on redoute désormais que l'EI, jusqu'ici très peu visible au Yémen, profite de l'anarchie ambiante pour s'imposer face à Al-Qaeda, comme il l'a fait en Irak et en Syrie. Le retrait des derniers soldats américains du pays illustre d'ailleurs une crainte accrue pour leur sécurité. «La menace est trop élevée. Pourquoi prendre le risque ?» résume un responsable américain à NBC News.

La menace ne se limite d'ailleurs pas au Yémen. Dimanche, un groupe de hackers se réclamant de l'Etat islamique a publié une liste de 100 militaires américains à abattre, accompagnée de leurs noms, adresses et photographies supposées. Le commandement des marines a appelé ses personnels à la «vigilance».