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Libération

Le gouvernement turc renvoie Erdogan à l’avis de palais

publié le 24 mars 2015 à 19h46

Le ton est poli mais le message ferme. «Nous aimons notre président, nous connaissons ses mérites et les services rendus, mais il ne doit pas oublier qu'il y a un gouvernement dans ce pays», a lancé Bülent Arinç, vice-Premier ministre et porte-parole de l'exécutif, remettant sèchement à sa place Recep Tayyip Erdogan. A trois mois des législatives, rien ne va plus à la tête de l'AKP (Parti de la justice et du développement), le mouvement islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002.

Cette fois, c'est le processus de paix avec la rébellion kurde qui oppose le fondateur de l'AKP, devenu en août dernier le premier président turc élu au suffrage universel, à son Premier ministre et ancien ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, un universitaire qu'il surnommait jadis respectueusement «hodja» («maître»). Le gouvernement veut avancer vite pour mettre fin à ce conflit qui a fait 40 000 morts depuis 1984 et saisir le nouvel appel à déposer les armes lancé par le leader du PKK, Abdullah Ocalan, depuis sa prison. Le Président, qui avait lancé ces négociations directes à l'automne 2012, est désormais plus prudent, souhaitant ménager l'électorat nationaliste avant un scrutin où il espère que l'AKP emportera une majorité suffisante pour changer la Constitution. Car c'est le cœur du problème. Elu président dès le premier tour avec 52% des suffrages, Erdogan ne dispose que de compétences limitées et il n'est plus le chef du parti.

Dans le Aksaray (le «palais blanc») de 1 150 pièces qu'il s'est fait construire à grands frais, Erdogan sent la réalité du pouvoir lui échapper. Il n'a pu assister qu'à deux conseils des ministres depuis l'été. «Erdogan est un autocrate qui n'accepte aucune autonomie réelle ni pour le parti ni pour le gouvernement», souligne le politologue Menderes Cinar. D'où son agitation médiatique. «C'est mon droit et mon devoir d'exprimer mon opinion, je suis le chef de l'Etat», rappelle Erdogan. Il avait violemment critiqué la politique monétaire du directeur de la Banque centrale, soutenu par le Premier ministre. Il était intervenu auprès des députés de l'AKP pour les convaincre de ne pas lever l'immunité de quatre de ses anciens ministres accusés de corruption alors que Davutoglu souhaitait les voir jugés. Un bras de fer a opposé le chef de l'Etat et le chef du gouvernement sur le sort du tout-puissant patron des services secrets, Hakan Fidan, longtemps fidèle d'entre les fidèles d'Erdogan qui, avec le soutien de Davutolgu, souhaitait quitter son poste pour devenir député. Fidan a finalement renoncé face à l'ire d'Erdogan. Ses adversaires dénoncent volontiers la «poutinisation» de la Turquie. Mais n'est pas Poutine qui veut.