Nous espérons que le Premier ministre, Manuel Valls, pourra lire ce texte à temps, car bientôt un autre document arrivera sur son bureau, et il lui sera demandé une signature pour valider l’extradition de notre père, Moukhtar Abliazov, de la France vers la Russie ou l’Ukraine (1). Ce que ce document ne dira pas, c’est qu’il s’agit, en fait, d’une demande d’exécution d’un homme innocent. La peine de mort a été abolie en France, en 1981, elle est même désormais interdite par votre Constitution, et nous vous prions de bien comprendre que l’extradition de notre père ne serait rien d’autre qu’une exécution.
Pourquoi cette extradition n’est-elle pas de même nature qu’une autre ? Il n’est pas besoin de chercher loin pour répondre à cette question. Notre père est l’un des pionniers de la démocratie au Kazakhstan, un réformateur et l’un des derniers opposants vivants au régime de Nazarbaïev. La plupart des autres sont décédés ou en prison. Il n’est un secret pour personne que le Kazakhstan vit sous le régime de la dictature depuis vingt-six ans. Personne n’ignore non plus que la Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan sont des nations sœurs qui ont combattu côte à côte sous le même drapeau pendant deux Guerres mondiales. Les corps intermédiaires de ces trois pays sont à ce point emmêlés - en dépit des événements ukrainiens - que les autorités kazakhes n’auront même pas à demander l’élimination de notre père.
Les régimes kazakh et russe ont une grande expérience dans l’élimination de leurs opposants, à l’intérieur ou à l’extérieur de leurs frontières. Les sanctions occidentales contre la Russie n’ont fait que renforcer cette tendance, comme l’a montré l’assassinat très récent de Boris Nemtsov. Qui était un ami personnel de notre père. Les partenaires politiques de notre père au Kazakhstan, Altynbek Sarsenbayev et Zamanbek Nurqadilov, ont aussi été assassinés. Certains disent que notre père est un opposant politique au Kazakhstan, pas en Russie. Mais les autorités russes ont travaillé main dans la main avec les autorités kazakhes pour éliminer les activités politiques de mon père obligé de s’installer en Russie.
Il ne faut faire confiance ni à la Russie ni à l’Ukraine, et évidemment pas au Kazakhstan, pour respecter le droit de vivre de notre père, ni en vérité aucun droit le concernant : le kidnapping récent de notre mère et de notre petite sœur en Italie en est la preuve. Rome, et nous devons rendre grâce à l’opiniâtreté de l’ancienne ministre des Affaires étrangères Emma Bonino pour cela, a finalement obtenu que notre mère et notre sœur soient renvoyées en Italie, où on leur a accordé l’asile politique.
Nous sommes convaincus que le renforcement des liens économiques avec un pays tiers ne peut en aucun cas passer par la mort de l’un des derniers espoirs de changement, de réforme et de démocratie dans ce pays.
En n’approuvant pas l’extradition de notre père, non seulement la France se placera aux côtés de ses alliés européens (huit pays !), qui ont tous refusé de prendre des mesures contre nos proches, mais permettra, aussi, de sauvegarder les espoirs de démocratie d’une autre nation.
(1) Détenu depuis son arrestation sur la Côte d’Azur, le 31 juillet 2013, cet opposant au régime kazakh, est accusé de malversations en tant qu’ancien patron de la banque kazakhe BTA.