L'économie thaïlandaise décline, le royaume traverse une crise politique débilitante, l'opposition au projet de nouvelle Constitution s'emballe… Mais devinez ce qui préoccupe les autorités thaïlandaises ? La propension des jeunes femmes du pays à poster sur les réseaux sociaux des selfies sur lesquels le galbe inférieur des seins apparaît. La langue française abdique face à la concision anglaise et son underboobs. Mais inutile de faire un dessin, chacun peut visualiser ce dont il s'agit.
Le ministère thaïlandais de la Culture, qui par le passé a plus fait parler de lui par son ardeur moralisatrice que par son enthousiasme créatif, visualise tellement bien qu'il a annoncé que les demoiselles impudiques seront désormais passibles d'une peine de trois ans de prison et d'une amende de 170 euros. Entendons-nous bien, il ne s'agit pas de nudité, mais plutôt d'une sorte de décolleté inversé. L'argument avancé par Anandha Chouchoti, porte-parole du ministère de la Culture, est que ces selfies enfreignent la loi contre les crimes informatiques, laquelle interdit les contenus qui «affectent la sécurité nationale ou causent une panique publique», ou «tout contenu obscène accessible au public par voie informatique». Le hashtag #underboobing fait en effet fureur dans la Thaïlande sous régime militaire. Et les austères hommes en uniforme et leurs non moins austères alliés bureaucrates ont beau faire, leurs injonctions victoriennes et leur dessein de punir tombent sur un os : les audacieuses prennent bien garde de ne pas faire apparaître leur visage sur les clichés impies. «Quand les gens prennent des "underboobs selfies", personne ne peut voir leur visage, s'inquiète le porte-parole. Et donc, nous ne savons pas à qui ils appartiennent, et cela encourage les autres à faire la même chose.»
Ne vaudrait-il pas mieux couper la poire en deux ? Laisser un peu de lest à cette tendance «dessous des seins» et se montrer plus ferme sur les formes plus crues du libertinage numérique. Ce serait toutefois oublier que la Thaïlande se trouve actuellement sous la main rude des généraux, lesquels ne plaisantent pas avec les bonnes mœurs. Ordre et Moralité sont les deux mamelles de la Thaïlande militarisée.