Au Nigeria, Dieu est partout, et surtout dans les urnes. Avec seulement 1% de la population se revendiquant athée, selon l'institut de sondages Gallup International, le géant d'Afrique de l'Ouest est le deuxième pays le plus croyant au monde (juste après le Ghana). Les chrétiens sont des millions à suivre les ordres et les préceptes de leur pasteur évangéliste. Dans les Etats du Nord, on applique la charia. Et les deux camps se sentent investis d'une mission divine. «Depuis quelques années, les partis politiques font des efforts, au moins symboliques, pour ne pas incarner l'une ou l'autre religion», analyse Kemi Okenyodo, directrice de Cleen, un institut de recherche pour la promotion de la démocratie. Namadi Sambo, le vice-président de Goodluck Jonathan, est musulman. L'opposant Buhari, quant à lui, a nommé un pasteur de la Redeemed Church, la plus grande église évangéliste du Nigeria, forte de plusieurs dizaines de millions de fidèles, comme numéro 2. «Mais les tensions restent fortes, et pour une grande partie de la population, le vote reste religieux», poursuit la chercheuse.
D'autant que la campagne électorale a clairement attisé les divisions. Ainsi, le People's Democratic Party (PDP) de Jonathan a fait campagne sur un fort sentiment antimusulman. A quelques jours du scrutin, les journaux proches du pouvoir multiplient les tribunes pour mettre en garde contre le candidat musulman : selon eux, le général Buhari voudrait instaurer la charia dans tout le pays, et ne combattra jamais Boko Haram «puisqu'il est musulman, comme les terroristes».Une simple propagande, mais qui fonctionne. «Il est plus facile de jouer sur la peur de l'autre pour gagner des voix que de trouver des solutions à la pauvreté, au chômage, à la lutte contre la corruption, poursuit Kemi Okenyodo. Mais c'est un jeu dangereux.»
La fondation Cleen dénombre 21 Etats sous «grave menace de violences électorales» (sur 36 Etats que compte le pays). «Il y a bien sûr tout le Nord-Est, qui est sous l'emprise de Boko Haram, mais aussi Lagos, Rivers, Kano, Kaduna…» La liste défile. Elle paraît interminable. Dans le delta pétrolifère, les partisans de Jonathan ont promis de prendre les armes si leur candidat n'était pas réélu samedi. Au Nord, dans la grande ville de Kano, cité millénaire du commerce sahélien, il semble qu'il n'y ait qu'un seul vainqueur possible : le général Buhari. Personne n'ose imaginer encore les scènes de chaos qui se profilent aux quatre coins du pays, dimanche, lors de la proclamation des résultats.
«Aucun parti n'est préparé à perdre», explique Sola Fagorusi, directeur des programmes pour One Life, une ONG pour le développement et l'éducation à la démocratie. Ces derniers mois, Sola a parcouru tout le pays, rencontrant les leaders traditionnels ou religieux, les encourageants à accepter la défaite, et ne pas prendre les armes à l'annonce des résultats. «Mais il y a beaucoup d'argent en jeu, poursuit Sola. Au Nigeria, on ne se bat pas pour des idées. On se bat pour avoir une position sociale.» Il y a quatre ans, lors des dernières élections, près de mille personnes ont été tuées pour des motifs politiques et confessionnels à travers le pays.