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Libération
Reportage

Nigeria : jour de vote sous tension

Les habitants se sont rendus aux urnes malgré des attaques terroristes menées dans le nord-est du pays.
Les Nigérians élisent samedi leur prochain président, au cours d'un scrutin marqué par les violences islamistes. (Photo Sophie Bouillon)
publié le 28 mars 2015 à 18h22

70 millions de Nigérians ont voté ce samedi pour élire leur nouveau président. Dans ce scrutin le plus serré de son histoire, le géant de l'Afrique pourrait voir le parti de l'opposition (APC - All Progressives Congress) accéder au pouvoir. Malgré les craintes d'attentats et la peur de débordements de violences religieuses entre chrétiens et musulmans, les électeurs se sont rendus aux urnes avec une immense ferveur. «C'est un peu comme le jour d'une finale de Coupe du Monde !». Pourtant les rues étaient videsce samedi. Il est impossible de se déplacer à travers le pays. Toutes les rues, les routes et les voies aériennes ont été fermées pendant 24 heures. Kano, mégalopole de 10 millions d'habitants, ressemble à une ville fantôme.

Il faut dire que la menace terroriste est bien réelle : au moins sept personnes ont été tuées samedi dans des attaques menées par des islamistes présumés dans le nord-est du pays contre des bureaux de vote. Vingt-trois personnes ont été «décapitées» lors de l’attaque d’un village du nord-est du pays attribuée à des islamistes de Boko Haram par un député de cette région. La secte islamiste a déjà fait plus de 13 000 morts en six ans dans ce pays.

Dans les bureaux de votes, c’est le tumulte. Les membres de la commission électorale (INEC - Independant National Electoral Commission) sont arrivés avec plusieurs heures de retard pour installer les urnes et enregistrer les électeurs.

Rassemblés sous des températures frôlant les 40 degrés, hommes et femmes ont attendu inquiets et impatients de pouvoir enfin choisir leur nouveau leader.

Pour tenter d’empêcher les fraudes, le pays le plus peuplé d’Afrique (170 millions d’habitants) a mis en place un système de cartes d’électeurs biométriques. Dans ce bureau de vote du quartier de Sabon-Gari, deux-tiers des lecteurs de carte n'ont pas fonctionné, retardant un peu plus le processus électoral.

«C’est parce que nous sommes étrangers !»

, s’est emporté Chris, un habitant de Sabon-Gari. En réalité, tous sont Nigérians, mais ce quartier est l’un des rares quartiers chrétiens de Kano. Chris et ses voisins sont de l’ethnie Igbo, originaires du Delta, à l’extrême sud du pays. Commerçants, ils sont arrivés à Kano il y a dix, vingt ans. Certains même sont nés ici, mais on les appelle toujours les

«étrangers». 

En réalité, ces cartes biométriques ont posé des problèmes dans de nombreux endroits du pays. Même le président nigérian Goodluck Jonathan, candidat à sa réélection, a dû s’y reprendre à plusieurs fois pour s’identifier dans son bureau de vote.

Au Nigeria, les votes restent très confessionnels. Kano, cité millénaire de l’Islam de dix millions d’habitants, est un bastion de l’opposition. Leur candidat, Muhammadu Buhari, est musulman comme eux. Dans les rues, toutes les affiches du parti au pouvoir, le PDP (People’s democratic Party) ont été arrachées.

«Nous vivons sous la terreur de Boko Haram

, explique une femme d’une quarantaine d’année, dissimulée sous son voile.

Goodluck Jonathan n’a jamais rien fait pour notre sécurité.»

Umma parle en Hausa, la langue vernaculaire du Nord. A Kano, les musulmans parlent bien moins anglais que dans le reste du pays, prouvant aussi que l’éducation et le développement de cette région n’a pas été non plus une priorité depuis l’avènement de la démocratie en 1999.

Umma a perdu des membres de sa famille dans l’un plus violents attentats perpétrés à Kano. C’était en novembre dernier dans la grande mosquée centrale de la ville. Deux cent personnes ont été tuées, selon les chiffres officiels. Selon les habitants, il y en aurait eu bien plus. La secte islamiste Boko Haram a promis de rendre ce scrutin incontrôlable, et tous les habitants, chrétiens comme musulmans, dans les bureaux de vote bondés craignaient une attaque. Mais Umma n’a pas hésité à venir exprimer

«son devoir de citoyenne»

. Elle est allée voter à 7h30 du matin.

«Non ! Non! je n’ai pas peur !

lance-t-elle avec de grands gestes de la main.

Même s’ils posent une bombe ici, certains mourront, mais d’autres survivront toujours !»