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Buhari, changement général au Nigeria

A 72 ans, l’ancien dictateur a été élu président du géant africain après l’avoir dirigé d’une main de fer dans les années 80.
Muhammadu Buhari à Abuja le 1er avril. (Sunday Alamba.AP)
publié le 1er avril 2015 à 20h17

Il n’oublie plus jamais de sourire devant les caméras. En smoking ou en tenue hausa traditionnelle, des lunettes carrées et une petite moustache bien rasée, le général a quitté son treillis militaire depuis bien longtemps. A 72 ans, il savait que cette campagne présidentielle serait la dernière, après trois tentatives d’accéder au pouvoir par les urnes (en 2003, 2007 et 2011). Muhammadu Buhari a donc travaillé son apparence pour redonner confiance aux Nigérians et leur faire oublier son passé de dictateur.

Car l'homme est un ancien de la scène politique nigériane. Arrivé au pouvoir une première fois en 1984, par un coup d'Etat contre Shehu Shagari, il prononce alors un discours qui pourrait être celui de sa prochaine investiture, prévue le 29 mai. «Le changement est devenu une nécessité pour mettre fin au désordre économique de ce pays et à la crise de confiance du peuple avec ses leaders politiques corrompus», annonçait-il à l'époque.

Discipline. La situation du Nigeria n'a guère changé depuis trente ans. L'ordre, la discipline, la morale ont toujours été les mots d'ordre de cet homme. Ils ont résonné particulièrement fort après six années de mandat du président Goodluck Jonathan, durant lesquelles les affaires de corruption et la guerre de Boko Haram ont terni l'image du pays le plus peuplé d'Afrique (lire ci-contre).

Dans les années 80, le géant pétrolier qu'est le Nigeria ne connaît que coups d'Etat sur dictatures militaires. Celle de Buhari est, dans les souvenirs, l'une des plus féroces. Il veut remettre le pays au pas, n'hésitant pas à condamner ses opposants politiques ou militaires à des peines de plusieurs centaines d'années de prison, aux châtiments corporels, humiliations, ou à instaurer un tribunal militaire en marge du système judiciaire pour juger les civils. Mais, à l'époque, il redonne aussi une certaine fierté à ce pays émergent d'Afrique de l'Ouest en refusant les plans d'ajustement structurels imposés par le Fonds monétaire international. Trente ans plus tard, le patriote utilise la même corde nationaliste toute nigériane en déclarant que l'intervention régionale des pays voisins (Tchad, Niger, Cameroun) pour lutter contre la secte Boko Haram est une «insulte» pour la première puissance économique et militaire d'Afrique. Mais son slogan, «le changement», ne s'adressait pas seulement au parti au pouvoir. Le général Buhari est un autre homme, prévient-il.

Selon Wole Soyinka, Nobel de littérature et grande voix contestataire, celui qu'il dénonçait ardemment en 2007 dans son essai les Crimes de Buhari serait un «born-again» de la politique. Un racheté. Son salut est venu avec la création de l'APC (All Progressives Congress), lorsque les quatre principaux partis d'opposition ont décidé de s'unir, le 6 février 2013, pour avoir plus de poids face au PDP (Parti démocratique populaire), indétrônable depuis l'avènement de la démocratie en 1999. L'APC fait alors la promesse aux Nigérians de travailler à réaliser «leurs rêves et les espoirs trop longtemps attendus». Le général Buhari devient une figure nationale, tentant la réconciliation alors qu'il avait toujours été perçu comme un «musulman du Nord».

Fils d’une famille de 24 enfants, né dans la petite ville de Daura, à la frontière avec le Niger, sa vie ressemble à celle de dizaines de millions de Nigérians du Nord. C’est sans doute ce qui lui a d’ailleurs valu ses échecs lors des derniers scrutins présidentiels. Il n’avait jamais su rassembler un pays profondément divisé par les questions religieuses et ethniques. Représentant désormais quatre partis d’opposition, il a réussi à remporter la quasi-totalité des Etats du Sud-Ouest (majoritairement yoruba, mais aussi musulmans), la région dans laquelle les élections se joueraient.

Prouesse. Derrière un Nord qui l'adule et un Sud qui le déteste, la prouesse de l'APC aura été de convaincre les deux grandes capitales du pays : Lagos, l'économique, où le parti d'opposition a remporté la majorité des voix, et Abuja, où l'APC a remporté un succès important.

Au lendemain de cette campagne passionnelle, les esprits semblent apaisés. Le Nigeria craignait des violences, une division entre chrétiens et musulmans pouvant mener à une guerre civile sanglante. Mais en

son adversaire le soir même de la proclamation des résultats, et acceptant aussitôt sa défaite, Goodluck Jonathan a enterré la hache de guerre. Il sort la tête haute.

«J’ai promis à ce pays des élections libres et démocratiques,

a-t-il déclaré.

J’ai tenu ma promesse. C’est un héritage que je laisse au Nigeria et que j’aimerais voir perdurer.»

Quelque 170 000 millions de Nigérians, PDP et APC, se sont détestés, déchirés, insultés pendant des mois. Ils sont désormais unis derrière la même fierté d’avoir montré que le Nigeria n’est pas seulement une grande puissance économique. Il peut être aussi une vraie démocratie.