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Libération
Reportage

Nigeria : «Ce matin, je suis tellement heureux que je n’ai plus faim»

Buhari redonne espoir aux Nigérians dans la lutte contre Boko Haram.
Des Nigérianes fêtent la victoire du général Buhari, à Kaduna, dans le nord du pays, le 31 mars. (Photo Nichole Sobecki. AFP)
publié le 1er avril 2015 à 20h16

Dans les processions de joie qui ont emporté Kano mardi à l'annonce des résultats, des soldats se sont mêlés à la foule. Ils couraient, évitant les voitures folles et brandissant les affiches de campagne de leur candidat : le général Buhari. «Ils sont fatigués, fatigués, comme nous ! hurle un passant. Leurs frères se font tuer par Boko Haram.» Des dizaines de milliers de personnes ont envahi les rues au compte-gouttes, pour célébrer leur soulagement.

«Mais il ne faut pas rester ici trop longtemps, souffle Abbas, un homme d'une quarantaine d'années. Il y a beaucoup trop de monde. Une bombe pourrait exploser à tout moment. Ils n'ont pas encore tout à fait disparu.» Abbas vit dans la peur constante d'un attentat, comme les 10 millions d'habitants de Kano. Sauf que lui en a réchappé de peu, en février, lorsqu'une bombe a explosé dans une gare. «Boko Haram, fini ! Fini !» tentait d'expliquer dans un anglais approximatif un vieil homme, le sourire recouvrant presque les bords de son chapeau sahélien.

Cancer. Le lendemain, alors que le vainqueur de la présidentielle recevait le certificat officiel de la commission électorale, les check-points n'avaient pas disparu des carrefours de la mégalopole. Mais les policiers aussi étaient soulagés. «Ce matin, comme tous les autres, je me suis réveillé l'estomac vide, raconte un agent derrière son gilet pare-balles. Mais aujourd'hui, je suis heureux, tellement heureux que je n'ai plus faim !» D'un geste rapide, il expédie les voitures qui ont à nouveau rempli les rues de Kano. Aujourd'hui, ce n'est pas le moment de demander un bakchich aux passants. Fini les check-points, fini les fouilles incessantes, fini la peur. C'est en tout cas ce que se disent tous les habitants du nord du Nigeria, de Maiduguri, à l'extrême est, jusqu'à Sokoto, à la frontière avec le Niger.

La tâche ne sera évidemment pas aussi aisée que veulent bien le croire les partisans de l’APC (All Progressives Congress). Mais on espère que le passé militaire du nouveau président, son autorité et ses réseaux au sein de l’armée seront efficaces contre la secte islamiste. Buhari a promis d’en finir avec la corruption, un cancer social qui gangrène la première économie d’Afrique, et surtout son armée. Son budget militaire est le plus important de tout le continent (32 milliards de dollars, soit 30 milliards d’euros, selon l’opposition).

Les combattants de Boko Haram ne seraient que 10 000 et ils ont pourtant réussi à mettre tout le nord du pays à genoux. «Ce n'est pas seulement la peur, explique un commerçant de Kano. C'est aussi que nous avons faim.» Capitale économique du Nord et de toute la région sahélienne, la mégalopole a toujours été un lieu de passage obligé pour le commerce régional. «Mes clients venaient du Sénégal, du Ghana, du Bénin, énumère le vendeur de tissu. Ils partaient ensuite vendre au Tchad, jusqu'au Cameroun. Mais les routes sont trop dangereuses maintenant, tout s'est arrêté.» Au lendemain des élections, Kano était porté par le rêve de retrouver son passé glorieux, avec ses traditions uniques et son émir, aux rites aussi fascinants que les contes des Mille et Une Nuits. Mais les troubles armés ne se limitent pas à Boko Haram.

Incursion. Si Goodluck Jonathan, le président sortant, n'a jamais démontré un quelconque intérêt à lutter contre la secte islamiste, sauf dans les dernières semaines avant l'élection, il avait lancé une grande campagne de pacification dans l'Etat du Delta. Chez lui, dans la partie «chrétienne» du pays, au large du golfe de Guinée. Dans cette région pétrolifère, source de 80% des exportations du géant économique, les groupes armés pullulent. Ces mafias, parfois millionnaires, contrôlent et terrorisent des régions entières, accusant le gouvernement de ne pas reverser l'argent du pétrole au peuple. Après une violente incursion militaire contre le groupe du Mend (Mouvement d'émancipation du delta du Niger) entre 2008 et 2009, le gouvernement nigérian a proposé à 30 000 combattants de déposer les armes en échange d'un «pardon inconditionnel» et d'une formation : en bref, de les payer pour acheter la paix. Le programme d'amnistie doit se terminer à la fin de cette année.

Avec la chute du cours du pétrole à moins de 50 dollars (46 euros) le baril, le budget national du Nigeria va terriblement diminuer. Et les tensions dans le Delta s’aggraver. Le nouveau président ne devra pas faire la même erreur au Sud que son prédécesseur a faite au Nord.