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Libération
Récit

Le nouvel assaut sanglant des shebab au Kenya

Au moins 147 personnes ont été tuées dans une prise d’otages jeudi.
L'attaque a été revendiquée par un commando d'islamistes somaliens. (Photo Noor Khamis. AFP)
publié le 2 avril 2015 à 22h06

Une explosion, des tirs : un commando d'islamistes somaliens shebab a pris d'assaut, jeudi à l'aube, un campus de l'université de Garissa, dans l'est du Kenya, tuant les deux vigiles avant d'investir des chambres d'étudiants. Dans la soirée, on comptait au moins 147 personnes tuées et 79 blessées. Seize heures après le début de l'attaque les autorités annonçaient la mort des quatre terroristes. Selon Joseph Nkaissery, ministre de l'Intérieur, 500 des 815 étudiants inscrits, ainsi que les 60 membres du personnel, se seraient «manifestés» hors de l'université.

«Le Kenya est en guerre avec la Somalie, nos hommes sont encore à l'intérieur et ils se battent. Leur mission est de tuer ceux qui sont contre les shebab», a revendiqué à l'AFP un porte-parole du groupe islamiste, Cheikh Ali Mohamud Rage. Qui a aussi assuré avoir «libéré» les musulmans et «pris les autres en otages». Jeudi après-midi, «trois des quatre bâtiments» de la résidence universitaire avaient été «évacués», a précisé le ministre de l'Intérieur. «Les assaillants sont retranchés dans l'un des bâtiments et les opérations continuent.» Elles s'intensifiaient jeudi soir, des tirs nourris étaient entendus, quatre assaillants auraient été tués.

Côte. «Depuis l'intervention des troupes kényanes en Somalie en 2011 aux côtés de troupes de l'Amisom - la mission de l'Union africaine lancée en 2007 -, les shebab ont multiplié les actions le long des 700 kilomètres de frontière», rappelle Philippe Hugon, de l'Iris, l'institut de relations internationales et stratégiques. D'abord sur la côte touristique du pays, notamment à Mombasa, principal port d'Afrique de l'Est, ou à Lamu, perle swahilie (100 morts). Ce sont eux qui ont réalisé l'assaut en septembre 2013 contre le centre commercial Westgate de Nairobi (67 morts). Eux qui ont multiplié les raids sanglants contre des villages de la côte kényane en juin-juillet 2014 (96 morts). Eux encore qui, en novembre, avaient massacré 28 passagers - en majorité des enseignants - non musulmans d'un bus à Mandera (nord). Eux, enfin, qui ont tué 36 ouvriers le mois suivant dans un raid nocturne. En tout, Nairobi répertorie pas moins de 135 attaques dans le pays. Qui, pour la seule année 2014, auraient fait au moins 200 victimes. «Ils cherchent à multiplier l'instabilité au Kenya pour que les troupes kényanes quittent la Somalie, note Roland Marchal, chercheur au CNRS et auteur en 2011 d'une étude sur les shebab. Et puis ils rêvent d'étendre le mouvement jihadiste au Kenya par les Kényans eux-mêmes».

Depuis qu’ils ont été délogés de Mogadiscio en août 2011, les salafistes jihadistes multiplient les opérations de guérilla et les attentats-suicides en Somalie contre les autorités. A l’image de celui, trois mois plus tard, contre un complexe ministériel (82 morts). Ils ont ainsi attaqué les bâtiments de la présidence ou fait exploser une voiture piégée dans l’enceinte même des services de renseignements…

Financement. Ce 27 mars, ils ont ciblé un hôtel en plein centre-ville (14 morts). Et visent plus que jamais les pays contributeurs de l'Amisom. Notamment l'Ouganda, avec un double attentat dans des restaurants en 2010 à Kampala (76 morts). Se revendiquant d'Al-Qaeda depuis 2010, bien qu'ils n'y aient été intégrés qu'en 2012, ils croisent leurs sources de financement : le charbon, le trafic de drogues ou d'armes. Les prises d'otages et les butins de piraterie. «L'Erythrée, aussi, et la diaspora issue d'un pays qui n'a plus d'Etat depuis 1991 et le début de la guerre civile», précise Hugon.

«L'élimination physique de certains de leurs leaders, comme ce fut le cas d'Ahmed Abdi Godane en septembre 2014, n'a pas fondamentalement changé la configuration de leur base, estime Roland Marchal. Cela les a poussés à se réinventer, à surmonter leurs divisions. Même s'ils sont trois fois moins nombreux qu'en 2009, ils sont encore au moins 5 000». «Peut-être même 10 000, et ils sont surtout très jeunes dans un pays où l'explosion démographique est incontrôlée et où les perspectives sont nulles», ajoute Philippe Hugon.