Doigts bloqués sur les klaxons pour des concerts spontanés d’avertisseurs, chants et danses de joie dans les rues avec l’inévitable V de la victoire, mouchoirs blancs que l’on agite… les jeunes Iraniens ont célébré l’accord d’étape de Lausanne, signé jeudi, un peu comme un match de football gagné, faisant fi des incertitudes qui pèsent encore sur la réussite des discussions à venir. Plusieurs dizaines d’entre eux ont même accompagné en applaudissant le cortège de retour de Suisse du ministre des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, et son équipe d’experts, dont son adjoint Abbas Araghchi, en scandant ces deux noms.
Cessez-le-feu. Les premiers mots du ministre ont, évidemment, été pour remercier le Guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, ultime décisionnaire sur le dossier, sans l'aval duquel il n'y aurait donc pas eu d'accord d'étape. A preuve, cette attaque en règle, vendredi soir, de l'un des proches conseillers du président Hassan Rohani contre certains milieux «principalistes» qui avaient dénoncé des concessions trop importantes faites à l'Occident : «Le public a prouvé qu'il comprenait la différence entre les traîtres et ceux qui sont au service de la nation.» Des mots durs qui témoignent que Rohani et Zarif sont bel et bien soutenus par Ali Khamenei.
La poursuite des négociations avec «le grand Satan» (les Etats-Unis) et ses alliés correspond donc aujourd'hui à la volonté du Guide, que l'on savait pourtant très suspicieux à leur égard, et qui avait assuré qu'il ne croyait guère au succès d'une telle rencontre. Une attitude qui n'est pas sans rappeler le changement de cap de l'imam Khomeiny, le fondateur de la République islamique, qui, en 1988, après huit ans d'une guerre totale avec l'Irak, avait fini par accepter un cessez-le-feu, une décision qu'il avait trouvé plus dure que «d'avaler du poison». En donnant sa couverture politique à Hassan Rohani, avec lequel il a toujours entretenu de bonnes relations sur le plan personnel, Ali Khamenei tourne donc le dos aux ultras et protège ainsi de leurs attaques le président iranien.
Promesses. La stature de ce dernier s'en trouve renforcée avec, dans ce jeu, un atout supplémentaire : l'hostilité d'Israël à l'égard du préaccord signé vendredi, qui joue largement en sa faveur. Saura-t-il profiter de cet avantage, qui s'accompagne d'une forte poussée de sa popularité auprès des Iraniens, pour faire avancer ses promesses de réformes sociales, actuellement battues en brèche par les milieux radicaux qui contrôlent le Parlement, la justice et plusieurs autres institutions ? «La modération est une approche patiente et active de la société afin de se distancer des abysses de l'extrémisme», plaide-t-il.
Sorti renforcé de l’épreuve de Lausanne, même si l’accord final est loin d’être acquis, osera-t-il s’engager à présent en faveur de la libération des prisonniers politiques, dont les deux figures de la présidentielle de 2009, Mir-Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, qu’il avait promis de faire libérer lors de sa campagne de 2013 ?