Deux jours après l'attentat des shebab contre l'université de Garissa au Kenya, qui a fait 148 victimes, dont 142 lycéens ou étudiants, l'effroi tétanise encore le pays. Une étudiante a été retrouvée ce samedi après-midi, recluse dans une cachette de l'université. Et les témoignages de rescapés ou du personnel soignant se multiplient et racontent l'horreur du bain de sang provoqué par les terroristes. Libération en reproduit quelques-uns, pour la plupart recueillis par la presse kényane (The Standard, Daily Nation, The Star) et l'AFP.
Mutua, étudiant, 23 ans. «Il est 5 h 30. J'entends des tirs, puis ils s'arrêtent. Je continue de lire. Puis quelqu'un fait irruption dans la bibliothèque. Son visage n'est pas couvert. Je le dévisage. Je vois le pistolet. Je le regarde à nouveau, nos regards se croisent. Puis il tire. Un ami reçoit une balle dans la tête. Son cerveau explose, il tombe sur moi. Ma jambe est coincée. Il tire encore. Je prends une balle dans le talon. Il tire encore, partout. Je suis resté paralysé jusqu'à ce que la police arrive. Il était 11 heures. Les premières victimes ont été les étudiants de l'union chrétienne. 22 priaient dans le hall : ils ont tous été tués.»
Samuel, étudiant, 21 ans. «Je suis en train de me rendre dans la salle de bain quand j'entends des coups de feu. Par la fenêtre, je vois deux hommes cagoulés et ultra-armés se précipiter vers notre dortoir. Je fonce me cacher dans les toilettes où d'autres étudiants terrifiés se sont déjà réfugiés. Puis on entend des tirs, des cris, des tirs, des supplications, encore des tirs. A 8 h 30, on entend un policier nous dire de sortir. On quitte les toilettes, mais les assaillants continuent à tirer. Une balle me transperce la cuisse. Je tombe. Je ne peux plus bouger. Les policiers sont dépassés et partent s'abriter. Un tueur veut m'achever. C'est un ami qui prend devant mes yeux la balle dans la tête, il tombe devant moi. Puis je rampe longuement jusqu'où les policiers et les militaires sont retranchés.»
Milicent, étudiante. «Ils hurlaient en nous disant d'arrêter de payer des impôts, qui permettent au gouvernement d'acheter des armes aux forces armées qui agissent en Somalie. Ils disaient qu'ils allaient nous tuer avec ces mêmes armes, récupérées sur des militaires kényans. Ils nous tourmentaient en disant que les agents de sécurité avaient été incapables de nous sauver. J'ai survécu en récupérant du sang d'autres étudiants massacrés autour de moi, et j'en ai mis partout sur ma tête et mes mains alors qu'ils ne restait plus qu'un assaillant dans la salle et que les autres étaient montés dans les étages supérieurs. Je suis enceinte de huit mois, mais j'ai joué la morte pendant plus de dix heures. Le dernier terroriste s'est fait sauter quand il a su que les autres s'étaient fait tuer…»
Amuna, étudiant, 20 ans. «"Nous ne craignons pas la mort, cela va être de bonnes vacances de Pâques pour nous", ont hurlé les shebab avant de séparer les musulmans des non-musulmans en fonction de leurs habits. Les premiers ont eu la vie sauve, pas les seconds. Les tueurs ordonnaient aux gens d'appeler chez eux pour dire : "Nous mourons parce que Uhuru [Kenyatta, le président kényan] persiste à rester en Somalie." Après avoir appelé leurs parents, ils étaient tués, et puis c'était le silence…»
Reuben, infirmier, 32 ans. «Nous avons donné les premiers soins pendant les combats. Des soldats se faisaient tirer dessus juste devant nous, comme les victimes retenues en otage. Et puis nous sommes allés dans les couloirs. Ce que nous avons vu était bien trop horrible pour être imaginé et, pourtant, nous l'avons vu. Nous avons vu des gens dont les têtes avaient été soufflées, avec des blessures par balles partout, le tout dans un désordre effroyable Tout le monde avait l'air mort mais, alors que nous parlions, des étudiants qui se cachaient depuis des heures sont sortis – certains de placards, d'autres du plafond. Les femmes ont dit que les assaillants criaient en swahili, en même temps qu'ils tiraient sur les hommes : "Nous sommes venus pour tuer et pour être tués" […] Puis ils ont dit aux femmes de "nager dans le sang".»