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Libération

Yarmouk, nouvelle tragédie palestinienne

Le monde arabe en ébullitiondossier
Déjà assiégé par Al-Assad, le camp aux portes de Damas a subi un assaut féroce de l’Etat islamique, sans provoquer de réaction dans le monde arabe.
publié le 7 avril 2015 à 20h06

La tragédie palestinienne a longtemps eu pour symbole le massacre de Chabra et Chatila, les deux camps de réfugiés de Beyrouth où des centaines de civils, dont des femmes et enfants, furent assassinées en 1982 par des milices chrétiennes avec la complicité au moins passive de l’armée israélienne. Aujourd’hui, c’est au camp de Yarmouk, près de Damas, que culmine la douleur palestinienne. Mais si les tueries de Chabra et Chatila avaient drainé la colère arabe, celle-ci apparaît singulièrement muette pour Yarmouk, où l’enclave palestinienne a d’abord subi le plus impitoyable des sièges de l’armée syrienne avant d’être attaquée par l’Etat islamique (EI), qui a entrepris aussitôt des exactions d’une férocité absolue contre la population qui n’a pas pu fuir.

Propagande. Pour son malheur, Yarmouk, le plus grand camp palestinien de Syrie, occupe une position stratégique à 8 km de Damas. C'est pourquoi l'EI cherche à s'en emparer à tout prix, ce qui permettrait à sa propagande de dire qu'il est entré dans la capitale syrienne, puisque rien ne distingue la capitale de sa périphérie. Dès 2012, quand la rébellion s'était rapprochée de la ville, des combats y avaient éclaté, notamment entre l'Armée syrienne libre, appuyée par la formation palestinienne Liwa al-Assifa et le Front populaire de libération de la Palestine- Commandement général (FPLP-GC), contrôlé par le régime syrien et bénéficiant du soutien massif des forces loyalistes. D'où une situation dramatique pour la population, qui comptait encore quelque 20 000 personnes en 2014.

En 2013, Yarmouk fit même l’objet, outre des campagnes de bombardements intenses, d’un siège en règle et d’une politique de famine délibérée organisée par le régime de Bachar al-Assad. Cette stratégie d’attrition dura deux ans, pendant lesquels les habitants durent manger des herbes et provoqua, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), la mort de près de 200 personnes.

Mais le pire était encore à venir avec l’arrivée, il y a quelques jours, de l’EI, aidé par le Front al-Nusra, la branche syrienne d’Al-Qaeda. Ces deux organisations théoriquement ennemies s’entendent apparemment quand il s’agit de massacrer des Palestiniens. Après plusieurs jours d’affrontements contre des combattants palestiniens, qui ont fait une trentaine de morts, elles contrôlent désormais une grande partie de Yarmouk. Dans le même temps, l’armée syrienne a encore renforcé son siège et mène des raids aériens réguliers sur le camp, dans lequel elle n’est jusqu’ici pas entrée.

«Cruauté».L'AFP a publié des témoignages accablants d'habitants ayant réussi à s'enfuir. «J'ai vu des têtes coupées. Ils tuaient les enfants avant les adultes. Nous étions effrayés. Nous avions entendu parler de leur cruauté à la télévision mais quand nous les avons vus, je peux vous assurer que leur réputation n'est pas usurpée», a relaté Ibrahim Abdel Fatah, un père de sept enfants, réfugié dans une école de Tadamoun, un quartier tenu par l'armée syrienne. Amjad Yaacoub, un adolescent de 16 ans, raconte avoir vu, rue de Palestine, deux jihadistes «jouer avec une tête coupée comme si c'était un ballon». Lui a été laissé pour mort, après s'être évanoui sous les coups des jihadistes qui, selon lui, étaient venus au domicile familial tuer son frère, un militant palestinien.

Mardi, le Conseil de sécurité a réclamé un accès des agences humanitaires aux milliers de Palestiniens bloqués dans le camp. Les 15 pays membres se sont déclarés prêts «à envisager les mesures supplémentaires qui pourraient être prises afin de fournir la protection et l'assistance nécessaires» aux habitants de Yarmouk, a précisé la présidente du Conseil, l'ambassadrice jordanienne Dina Kawar, sans donner de précisions.