On savait les captives de l’Etat islamique (EI) victimes de viols systématiques de la part des jihadistes en Irak et en Syrie. Mais, à la lueur des déclarations d’une responsable des Nations unies et du rapport de l’ONG américaine Human Rights Watch (HRW), on voit se dessiner une stratégie encore plus terrifiante, celle d’un système de terreur sexuelle orchestré par l’EI à l’encontre des jeunes femmes et même des fillettes dès l’âge de 8 ans. Premières victimes, les captives de la minorité yézidie du nord de l’Irak. Celles qui ont pu s’échapper décrivent leur esclavage sexuel comme un enfer.
A la mission d'enquête de HRW à Dohouk, dans le Kurdistan irakien où elle a trouvé refuge, Jalila, 12 ans, a raconté avoir été kidnappée avec sept membres de sa famille, le 3 août, par des Arabes musulmans de son village, au nord de Sinjar. Ces voisins les livrent à l'EI. Trente-cinq jours plus tard, elle est emmenée dans une maison en Syrie où se trouvent séquestrées d'autres yézidies. Les hommes viennent et sélectionnent les filles. Ils leur disent de montrer leurs cheveux et, parfois, les battent si elles refusent. «Ils portaient des dishdasha [vêtements descendant jusqu'aux chevilles, ndlr] et avaient de grosses barbes et les cheveux longs», précise-t-elle. Celui qui la choisit la gifle et la traîne hors de la maison parce qu'elle lui résiste. «Je lui ai dit de ne pas me toucher et lui ai demandé de me ramener à ma mère. Il a eu des rapports sexuels avec moi pendant trois jours.» Selon Jalila, pas moins de sept combattants de l'EI l'ont «possédée» : «Parfois j'étais vendue. Parfois j'étais offerte en cadeau. Le dernier homme était le plus violent ; il m'attachait les mains et les jambes.»
Menottée. Dilara, 20 ans, une autre des vingt survivantes yézidies rencontrées par HRW, a raconté une histoire similaire. Les jihadistes l'ont emmenée dans une salle de mariage en Syrie, où se trouvent déjà une soixantaine d'autres captives yézidies, auxquelles on répète : «Oubliez les membres de vos familles ! A partir de maintenant, vous allez nous épouser, porter nos enfants, Dieu va vous convertir à l'islam et vous allez prier.» «A partir de 9 h 30, ajoute-t-elle, des hommes venaient acheter des filles pour les violer. J'ai vu de mes propres yeux des combattants de l'EI tirer les cheveux des filles, les battre et frapper à la tête celles qui tentaient de résister. Ils étaient comme des animaux… Après les avoir traînées dehors, ils les violaient, puis les ramenaient en échange de nouvelles filles. Elles avaient de 8 à 30 ans… Il ne restait plus que vingt filles à la fin.»
Deux sœurs, Rana et Sara, âgées de 25 et 21 ans, ont indiqué n’avoir rien pu faire pour empêcher que leur sœur de 16 ans soit violentée par quatre hommes pendant plusieurs mois. Cette dernière, ayant été autorisée à leur rendre visite, leur a raconté que le premier homme qui l’a violée, décrit comme un Européen, l’a battue et menottée, lui a fait subir des chocs électriques et l’a privée de nourriture. Elle leur a dit qu’un autre combattant l’a ensuite violée pendant un mois, puis donnée à un Algérien pour un mois. La dernière fois que les deux filles ont vu leur sœur, elle était entre les griffes d’un combattant saoudien. Elles aussi ont reconnu avoir été violées à plusieurs reprises par un Russe et un Kazakh.
Détresse. Au total, au moins 3 000 yézidis ont été capturés dans le nord de l'Irak au mois d'août. Selon le directorat des affaires yézidies de l'Autorité kurde, 974 d'entre eux avaient réussi à s'échapper à la date du 15 mars, dont 513 femmes et 304 enfants. «Celles qui ont eu la chance de s'échapper ont besoin d'être soignées pour le traumatisme inimaginable qu'elles ont subi», a insisté Liesl Gerntholtz, directrice de la division droits des femmes à HWR. Selon un médecin interrogé par l'ONG, sur 105 femmes et filles examinées, 70 semblaient avoir été violées lors de leur captivité. Toutes présentaient des signes d'extrême détresse psychologique.
Ces viols et mariages imposés aux jeunes femmes et filles, l'EI les considère comme d'autant plus légitimes que les yézidis sont vus par l'islam comme des hérétiques. En octobre, dans sa publication en anglais, Dabiq, l'organisation consacrait un long article, appuyé sur des versets du Coran et sur la sunna, à expliquer que les yézidies étaient des «butins de guerre», qu'elles pouvaient donc être battues, violées et vendues. «Ces déclarations constituent une preuve supplémentaire de l'existence d'une pratique généralisée et d'un plan d'action systématique de la part de l'EI», conclut HRW, qui dresse aussi la liste des prisons-bordels : des maisons, des hôtels, des usines, des cours de fermes, des écoles, des prisons, des bases militaires et d'anciens bâtiments gouvernementaux. Même constat de la responsable des Nations unies pour la violence sexuelle dans les conflits armés, Zainab Bangura : «La violence sexuelle fait partie intégrante des objectifs stratégiques, de l'idéologie et du financement de ces groupes extrémistes.» Il s'agit d'un «nouveau défi crucial».