Après les chaînes américaine, britannique, portugaise, et Paris-Match en décembre, c'était lundi soir au tour de France 2 de prendre le chemin de Damas pour interroger Bachar al-Assad. L'interview menée en anglais par David Pujadas ne fut en rien complaisante. Mais qu'en retenir, sinon une seule ligne de conduite : le plaidoyer pro domo du dictateur syrien qui, comme souvent, a répondu avec un aplomb terrible à toutes les accusations concernant son régime. Ce régime qui a utilisé les forces jihadistes pour installer le chaos face auquel Bachar al-Assad se présente comme l'unique rempart.
David Pujadas, tenace ?
Sans aucun doute, sur ce coup, mais vu la force du mensonge déployée et l'assurance stupéfiante à nier les évidences, l'interview a vite tourné à vide devant l'impossibilité de déverrouiller le cadenas du déni. Bachar al-Assad a de nouveau affirmé, contre toute évidence, que son régime ne fait pas usage de barils d'explosifs largués par hélicoptère, malgré une photo brandie et qualifiée de «montage». Ou que le peuple syrien le soutient, en martelant à plusieurs reprises que «le gouvernement français soutient les terroristes».
Qu’a dit al-Assad ?
Rien que nous ne sachions déjà, tout en réfutant toute collusion avec l'Etat islamique, «création des Américains en Irak», selon la même antienne. Il a soutenu que des contacts existaient avec «les services du renseignement français» mais qu'«aucune coopération» n'était envisagée. Comprendre : je dispose de tous les renseignements sur vos jihadistes et si voulez en connaître davantage, remettez-moi dans le jeu diplomatique.
Il a minimisé la présence iranienne en Syrie, insistant sur ses forces loyalistes, tout en laissant penser que lui seul pouvait reconquérir les cœurs et les territoires perdus, alors que son armée vient de perdre Idlib, dans le nord-ouest du pays. Pour Thomas Pierret, maître de conférences à l'université d'Edimbourg, spécialiste de l'islam sunnite et de la Syrie, «même si on se présente à lui avec des questions précises et pugnaces, l'entretien tourne au dialogue de sourds. Le contenu n'a finalement aucune importance. Vous imaginez bien qu'après une telle interview, les opposants ne vont pas changer d'avis sur lui ! Si pugnace puisse être l'intervieweur, Bachar al-Assad ne peut être ennuyé par aucune question.»
La forme ?
Un tête-à-tête, le salon, acajou massif en arrière-plan, marbre blanc au sol, les lampes encapuchonnées, la commode avec les photos de famille. Le ronron de la tragédie confiné dans un salon Empire. Malgré les relances de Pujadas, «rien ne l'a déstabilisé car le discours est rodé : vous croyez peut-être que Bachar al-Assad va être ennuyé par la nature des questions posées ? interroge ironiquement Thomas Pierret. Comment imaginer qu'après s'être rodé en recevant à haute fréquence les grandes chaînes occidentales, Bachar al-Assad va apporter quoi que ce soit de nouveau ?» L'expert, remonté et sans illusion sur la portée de l'exercice, assure : «Quand l'écume aura disparu, on se rendra compte du vide de l'entretien et que la notion d'exclusivité n'a aucun sens journalistique. D'autres s'y sont frottés et le rendu est toujours le même : le vide.»
La communication ?
L'interview a été certes fort bien «contextualisée» par un récit qui rappelait la terrible répression de 2011, l'emploi des armes chimiques en 2013, les rapports circonstanciés s'y référant et les bombardements à l'aveugle par des barils de TNT. En jetant un œil à la photo que lui présente le journaliste de France 2, Al-Assad reconnaît bien «les hélicoptères» mais pas les barils d'explosifs, estimant qu'une armée comme la sienne utilise bien entendu un armement conventionnel. «Ce que l'on a vu, c'est un homme qui ne peut être déstabilisé. Un homme qui construit ainsi sa propre communication. Ce plan de communication, auquel participent finalement France 2 et les autres télévisions qui s'y sont risquées, a pour objectif de faire passer Bachar al-Assad comme un mal relatif face à l'Etat islamique, le mal absolu», explique Thomas Pierret.
Il y a deux ans, Bachar al-Assad était un dictateur assiégé. Aujourd'hui, grâce à ces interviews, le voilà relancé dans la voie d'une reconnaissance «et de sa légitimité» : «Le plan a marché car on ne parle que de cela depuis deux jours», souligne le chercheur. Ainsi, le but est parfaitement atteint.