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Analyse

Mohamed Morsi : vingt ans ferme pour première peine

L’ex-président égyptien proche des Frères musulmans, destitué par l’armée en juillet 2013, a échappé à la peine de mort dans le procès où il était accusé d’avoir fait arrêter et torturer des manifestants.
Mohammed Morsi mardi dans sa «cage» de l’Académie de police du Caire, où avait lieu le procès. (Photo Amr Nabil. AP)
publié le 21 avril 2015 à 19h56

L’ex-président égyptien Mohamed Morsi a écopé mardi d’une peine de prison de vingt ans, échappant à la peine de mort dans ce premier procès. La sentence s’avère relativement clémente au regard des condamnations à morts prononcées contre plusieurs cadres des Frères musulmans. Car, en Egypte, demander la peine capitale ou la prison à vie pour un cadre du mouvement islamiste est devenu monnaie courante. Un juge, Nagi Shehata, en est même devenu le spécialiste attitré. Chaque semaine, dans des affaires différentes, les condamnations se succèdent inlassablement.

«Parodie». Mardi matin, avocats, journalistes et organisations des droits de l'homme s'attendaient donc à ce que l'ancien président islamiste connaisse le même destin. Surprise : Morsi ne prend «que» vingt ans de prison pour avoir «usé de la violence, fait arrêter et torturer des manifestants» lors de la dispersion d'un rassemblement, le 5 décembre 2012, devant le palais présidentiel du Caire, qui avait fait au moins dix morts. L'ex-raïs et quatorze coaccusés sont acquittés des chefs d'incitation au meurtre d'un journaliste et de deux manifestants. Le verdict est à comparer avec celui prononcé le 11 avril contre quatorze membres de la confrérie, dont le guide suprême Mohamed Badie : ils avaient écopé de la peine de mort pour «planification d'attaques contre l'Etat»

La saga judiciaire n'est toutefois pas terminée pour Morsi : l'ex-président encourt toujours la peine de mort dans trois des quatre autres procès qui lui sont intentés, dont deux pour «espionnage». Un prochain verdict est attendu le 16 mai. En attendant, Amnesty international a dénoncé une «parodie de justice», estimant que le jugement «faisait voler en éclat toute illusion concernant l'indépendance et l'impartialité de la justice pénale en Egypte». La condamnation de Mohamed Morsi, jugée bienveillante par certains ou illégitime par d'autres, s'inscrit dans le prolongement de la politique répressive menée contre la confrérie depuis le renversement de l'ex-raïs islamiste en juillet 2013. Depuis cette date, plus de 1 400 manifestants ont été tués et plus de 15 000 jetés en prison. Début mars, pour la première fois, l'Egypte a pendu un partisan de Mohamed Morsi. L'homme avait été reconnu coupable de violences à Alexandrie, dans le nord du pays.

«La justice est un jouet entre les mains des violentes autorités militaires qui est utilisé pour se venger de toute opposition, c'est un outil de mort et de détention», a accusé la principale coalition soutenant Morsi, l'Alliance «anti-coup d'Etat». Pour les révolutionnaires, c'est la douche froide : en quelques mois, la justice égyptienne a blanchi le pharaon Moubarak, libéré ses deux fils, Gamal et Alaa, et son ministre de l'Intérieur Habib al-Adli, l'homme qui incarnait en 2011 les dérives d'un Etat policier.

Campagnes. Toutes ces libérations, applaudies par les médias, n'ont pas soulevé d'émoi dans la population égyptienne. Lassés et gagnés par la peur du chaos, beaucoup d'Egyptiens soutiennent l'homme fort du moment, le Président Abdel Fatah al-Sissi. «Le fait que Moubarak ait été blanchi et Morsi condamné à vingt ans de prison prouve que l'actuel pouvoir craint plus les partisans des Frères musulmans que les révolutionnaires», déplore Ahmed Tuni, un jeune manifestant de la place Tahrir qui, faute d'alternative politique, pense à quitter le pays. Les grandes figures de la révolte de 2011, elles, sont derrière les barreaux.

«Dans les campagnes, les Frères gardent une capacité de mobilisation dont l'actuel pouvoir est bien conscient», précise le journaliste d'Al-Shorouk Abdel Rahman Mostafa. Entre 2011 et 2013, ce spécialiste en investigation observait que seuls deux mouvements arrivaient à faire bouger les campagnes : les anciens du Parti national démocrate d'Hosni Moubarak et les Frères musulmans. Même affaiblie par la répression, l'organisation frériste demeure l'unique force politique capable de mobiliser sa base face à l'actuel pouvoir.

Comment ? Une partie des jeunes partisans des «Frères» se sont radicalisés dans les mois qui ont suivi la dispersion sanglante des partisans islamistes sur la place Rab’aa al-Adawiya au Caire, en août 2013. Mais quels rôles jouent exactement les cadres de la confrérie exilés à Ankara, Doha ou Londres ? On l’ignore. Tout en sachant que, en proie à une profonde crise de direction, les Frères restent diminués par une stratégie floue et pétrie de contradictions.