La menace des rebelles houthis est écartée : c'est ce qu'a assuré l'Arabie Saoudite en annonçant mardi soir la fin de la campagne de bombardements baptisée «Tempête décisive», lancée il y a près d'un mois au Yémen. Pour le ministère de la Défense, les frappes sont parvenues «avec succès à éliminer les menaces pesant sur la sécurité de l'Arabie Saoudite et des pays voisins».
Selon Riyad, l’heure maintenant est à la phase diplomatique même si le royaume s’autorise toujours des frappes ponctuelles dès qu’il estimera sa sécurité menacée. Ainsi, le porte-parole de la coalition, le général Ahmed al-Assiri, n’a pas exclu que la coalition puisse intervenir pour empêcher les mouvements des rebelles. Il a ajouté que le blocus maritime serait maintenu.
Reste que les rebelles n’ont nullement perdu du terrain ni annoncé qu’ils cessaient leur offensive. Ils menacent toujours Aden, la grande ville du Sud, et se sont emparés mercredi matin du camp d’une brigade fidèle au président Abed Rabbo Mansour Hadi, près de Taëz, dans le sud-ouest du Yémen. Après cette victoire rebelle, les bombardements de la coalition menée par l’Arabie Saoudite - en fait, c’est surtout Riyad qui est à la manœuvre - ont repris dans cette région, contredisant l’annonce de la fin des opérations aériennes.
Tribus. C'est donc une phase diplomatico-militaire qui s'engage, sans grande visibilité jusqu'au sommet entre le président Barack Obama et les dirigeants du Conseil de coopération du Golfe (Arabie Saoudite, Qatar, Bahreïn, Koweït, Emirats Arabes Unis, Oman) prévu pour le 13 mai à la Maison Blanche. «Il y a aussi de l'agitation dans les coulisses, souligne David Rigoulet-Roze, chercheur rattaché à l'Institut français d'analyse stratégique. Ce qui donne une indication sur de possibles négociations en cours.» En échange de l'arrêt de sa campagne aérienne, Riyad pourrait avoir obtenu le départ de l'ex-président yéménite Ali Abdallah Saleh et de sa famille à Oman - le seul pays du CCG à n'avoir pas participé ou soutenu la campagne militaire saoudienne. Si ce départ est confirmé, les rebelles houthis, qui avaient conclu avec lui une alliance, s'en trouveraient militairement affaiblis puisque la Garde républicaine, les forces prétoriennes de l'ex-chef de l'Etat qui pèsent sur l'issue des combats, se retirerait alors.
Sans doute aussi Riyad s’emploie-t-il aussi secrètement à nouer de nouvelle alliance avec les tribus. Le général Abderrahmane al-Halili, qui commande 25 000 hommes et est à la tête de la région orientale, s’est semble-t-il rallié au président Abed Rabbo Mansour Hadi, toujours réfugié dans le royaume saoudien.
Pourtant, d’un point de vue stratégique, l’opération saoudienne apparaît comme un semi-échec puisque les Houthis n’ont pas reculé. Visiblement, les Saoudiens n’ont jamais eu l’occasion d’intervenir au sol, contrairement à ce qu’ils avaient laissé entendre. Les bombardements ont semble-t-il permis de détruire les missiles balistiques de la Garde républicaine entreposés dans un dépôt près de Sanaa. D’un point de vue diplomatique, en revanche, le bilan de Riyad est moins mitigé.
Le nouveau roi, Salmane, a affirmé son leadership non seulement au sein du monde sunnite mais d'abord au sein du monde arabe, jouant d'ailleurs plus les liens de la solidarité arabe contre l'Iran, alliée des Houthis, que les liens confessionnels. «L'entrée sur un théâtre militaire des Saoudiens est un tournant dans la région, souligne le chercheur Khattar Abou Diab. Encore inimaginable il y a quelque mois, cette intervention saoudienne est essentielle car elle marque le premier coup d'arrêt à l'expansion de Téhéran dans la région. En plus, il faut la voir comme un cri à destination de l'Amérique pour lui faire comprendre qu'elle est allée trop loin dans ses relations avec l'Iran et qu'elle ne doit pas oublier ses alliés arabes.» Ce tournant coïncide aussi l'entrée en lice de la jeune génération des dirigeants saoudiens, dont Mohammed ben Salmane, nommé par son père ministre de la Défense lors de son accession au trône, le 23 janvier 2015, et Mohammed ben Nayyef, désigné, lui, comme prince héritier en second.
Fait accompli. Les Etats-Unis ont salué l'arrêt des bombardements qu'ils avaient d'abord applaudi, fournissant ensuite un soutien logistique aux bombardiers saoudiens et du renseignement. Washington, d'un côté, montre ainsi qu'il soutient Riyad : le porte-avions américain Roosevelt s'était même rapproché lundi du Yémen pour surveiller un convoi de neuf bateaux iraniens, dont deux militaires, suspecté de transporter des armes à destination des rebelles. De l'autre, la satisfaction affichée par le département d'Etat devant la fin de l'opération «Tempête décisive» semble indiquer que l'Amérique n'avait guère apprécié d'être placée devant le fait accompli par Riyad et ses alliés.
Téhéran s'est aussi félicité de l'arrêt des frappes, estimant qu'il s'agit d'un «premier pas». Sans doute le soutien de Téhéran aux Houthis est-il moins ferme que ne le prétendent Riyad et Washington, ne serait-ce que pour ne pas mettre en péril l'accord final sur son activité nucléaire.