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TRIBUNE

Quelle diplomatie française face à l’arc de crise moyen-oriental ?

par Par Avicenne groupe de réflexion qui réunit des chercheurs, des diplomates et des journalistes de sensibilités différentes qui s’intéressent au Maghreb et au Moyen-Orient.
publié le 22 avril 2015 à 17h06

Le Moyen-Orient a toujours été une zone de turbulences. Mais il connaît aujourd’hui un chaos sans précédent. La guerre civile en Syrie paraît sans issue et développe ses métastases dans les pays voisins - Turquie, Liban, Jordanie, Israël -, menaçant leur sécurité. L’Irak est en situation d’implosion. Au Yémen, un conflit tribal se transforme en guerre régionale impliquant la Ligue arabe qui entend contrer l’influence de l’Iran. Le Liban est sans président et menacé par de nouveaux affrontements. La reconduction de Benyamin Nétanyahou, laisse peu d’espoirs à un règlement sur la base de deux Etats : la Palestine historique reste un baril de poudre à mèche lente allumée. La Libye est un trou noir où par-delà les deux gouvernements rivaux, chaque tribu ou chaque milice entend être maîtresse de son pré carré. Les deux mouvements rivaux - Al Qaeda et Daech - se livrent à une dangereuse surenchère. Les viviers de terroristes qui se développent dans tout le Moyen-Orient, de l’Irak à la Libye, représentent pour l’Europe proche une menace pour sa sécurité.

Certes quelques îlots fragiles de stabilité émergent : l’Egypte, qui a cependant de nombreux défis à affronter, tant politiques, économiques que sécuritaires ; les monarchies et émirats du Golfe dont la prospérité financière insolente ne doit pas cacher les fragilités venant notamment de sa jeunesse nombreuse et sans emploi. L’Iran est un autre pôle de stabilité qui développe une politique d’influence ressentie comme une menace par les pays sunnites : la perspective d’un règlement de la question nucléaire représente cependant une nouvelle donne. Au Maroc et en Algérie, un ordre fragile règne. En Tunisie, le seul pays rescapé du printemps arabe, le processus de démocratisation est sur de bons rails en dépit de l’attaque terroriste menée par l’EI au musée du Bardo.

Par ailleurs, des éléments de renouveau apparaissent comme on a pu le constater au récent colloque organisé par l’Institut du monde arabe. Mais une telle amorce d’évolution ne peut s’épanouir que si cette zone retrouve la stabilité.

Cette situation n’est pas le fruit du hasard. Un faisceau de causes contribue à expliquer un tel chaos. Certes cette région a toujours été une zone où les influences des grandes puissances se sont affrontées. Cependant les interventions militaires directes qui se sont déployées en Irak comme en Libye ont eu des conséquences désastreuses dont on paie encore le prix. A cet égard, l’intervention américaine de 2003 en Irak peut être considérée comme un fiasco diplomatique et militaire dont les effets pervers font pleinement sentir leurs effets.

Des facteurs internes, sont également en cause : échec politique des régimes autocratiques, mauvaise gouvernance économique, inégalités sociales croissantes, etc. Et l'échec des printemps arabes a contribué à cette situation. Les forces révolutionnaires, inorganisées et divisées, se sont montrées incapables de mettre en place un gouvernement alternatif crédible ; l'impact économique et social des révolutions a contribué à leur échec. Enfin, «l'accompagnement» apporté par le partenariat de Deauville, conclu en 2011, s'est révélé inefficace.

Devant une telle situation, que faire ? Les pays européens, et en particulier la France, ne peuvent rester les bras croisés. Nous ne pouvons pas nous désintéresser de cette région proche. Cet intérêt est politique compte tenu de son caractère stratégique. Il est économique, tant par les flux commerciaux engendrés avec les pays du Moyen-Orient que par les investissements qui y sont réalisés. Il est culturel avec un réseau de coopération et d’Instituts français. Il est un enjeu pour notre sécurité. Ces attentats terroristes de janvier dernier n’ont fait que confirmer. Enfin cet intérêt a également une dimension de politique intérieure. La France est le pays d’Europe où se trouvent les communautés juives et arabes les plus importantes : l’une comme l’autre suivent avec attention, parfois avec passion, les événements qui s’y déroulent.

Or, il semble que depuis plusieurs années notre diplomatie dans cette région du monde ait perdu son cap. Après une longue période de grande continuité, du général de Gaulle au président Chirac, notre politique étrangère semble dangereusement flottante, impulsive, émotionnelle, réagissant sans que les objectifs fondamentaux soient clairement formulés. Notre image dans le monde arabe, particulièrement au Moyen-Orient, s’est dégradée. Les réactions des médias moyen-orientaux à la récente tragédie et la quasi-absence de chefs d’Etat ou de gouvernements arabes à la «marche républicaine», témoigne de cette évolution.

Certes la situation volatile, insaisissable, dans le monde musulman et particulièrement dans le monde arabe, rend difficile la formulation d’une politique étrangère cohérente et visant également le long terme. Cependant, étant donné la gravité de la situation, une telle réflexion est indispensable pour apporter des réponses à plusieurs questions fondamentales. Quels sont nos objectifs à long terme dans cette région, compte tenu de nos intérêts nationaux ? Notre sympathie à l’égard du processus de démocratisation doit-elle se faire au détriment de la stabilité des pays en cause ? Notre coopération étroite avec les Etats-Unis tient-elle compte véritablement de la spécificité des intérêts français ? L’Union européenne, dont le moteur reste le partenariat franco-allemand, ne doit-elle pas s’affirmer en tant que telle, face aux défis venant d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ? Notre concertation avec les acteurs incontournables de la région que sont la Turquie, l’Iran et la Russie est-elle suffisante ? L’objectif de stabilité ne doit-il pas prévaloir dans le contexte actuel et nous conduire à renouer avec des partenaires trop rapidement diabolisés ? Le caractère prioritaire de la lutte contre les terroristes ne doit-il pas passer par un renforcement de nos relations bilatérales avec ces pays ? Notre relation avec Israël et la Palestine ne doit-elle pas être rééquilibrée ? Des éléments de politique intérieure, notamment les dysfonctionnements de l’intégration des communautés immigrés en Europe en général et en France en particulier, ne doivent-ils pas être revus ?

C’est le rôle et la responsabilité de ceux qui nous gouvernent de prendre l’initiative d’une telle réflexion qui devrait déboucher sur la définition d’une politique étrangère cohérente, réaliste et indépendante dotée d’objectifs à long terme.