On peut parler de tout ce que l'on veut avec les dirigeants israéliens, sauf de l'isolement grandissant de leur pays. «Un faux problème», selon eux. Officiellement, tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes et, à en croire l'entourage de Benyamin Nétanyahou, «la communauté internationale comprend de mieux en mieux le rôle précurseur joué par Israël dans la lutte contre le terrorisme islamiste, depuis que l'on voit Daech [Etat islamique, ndlr] dépecer les pays voisins». Sauf qu'à force de s'enfoncer dans le déni, les dirigeants de l'Etat hébreu perdent progressivement contact avec la réalité.
Le 13 avril, seize ministres européens ont pourtant bousculé leurs certitudes en demandant par écrit à la chef de la diplomatie de l’Union européenne (UE), Federica Mogherini, d’imposer l’étiquetage différencié des produits de l’Etat hébreu fabriqués dans les territoires occupés. C’est-à-dire la Cisjordanie, Jérusalem-Est, mais également le plateau du Golan conquis sur la Syrie en juin 1967 (pendant la guerre des Six Jours) et annexé en 1981.
Annexion. Certes, pour des raisons de culpabilité historique, l'Allemagne n'a pas pris part à cette initiative. Mais la France, la Belgique, le Luxembourg, l'Italie, l'Espagne et les Pays-Bas, entre autres, y sont allés franco. «L'expansion permanente des colonies illégales israéliennes dans les territoires palestiniens occupés et dans d'autres territoires occupés par Israël depuis 1967 menace la perspective d'un accord de paix final et juste», écrivent les seize ministres. «Nous vous remercierons de prendre la main au sein de la Commission afin de terminer ce travail important sur l'étiquetage des produits des implantations», ajoutent les signataires.
A Jérusalem, où Nétanyahou finalise la formation de son prochain gouvernement avec les partis ultraorthodoxes et ceux d'extrême droite revendiquant l'annexion pure et simple de la Cisjordanie, les rares porte-parole s'exprimant à propos de cette démarche des seize balayent l'affaire. «En 2012-2013, l'UE a déjà pris la décision de marquer autrement que par un "made in Israël" les produits fabriqués dans nos communautés de Judée-Samarie [la Cisjordanie, ndlr] et qu'est-ce que ça a changé ? Rien, parce que le vrai problème n'est pas là», persifle le vice-ministre des Affaires étrangères Tsahi Hanegbi (Likoud). Qui poursuit : «Le fond de l'affaire, c'est que nous sommes prêts à reprendre le processus de paix avec l'Autorité palestinienne, mais que celle-ci ne le veut pas.»
Fidèles à leur politique de l'autruche, les ténors du Likoud, tels Hanegbi ou l'actuel ministre du Développement régional, Silvan Shalom, considèrent la lettre à Mogherini avec mépris. «Elle n'est qu'une manœuvre cousue de fil blanc. Une tentative d'intervenir dans les affaires intérieures d'Israël en poussant Nétanyahou à faire alliance avec les travaillistes plutôt que ses alliés naturels. Mais personne n'est dupe et ça ne marchera pas», répètent-ils en privé.
Washington. Le hasard a voulu que le contenu de la «lettre des seize» soit révélé en Israël pendant le Yom Hazikaron HaShoah Ve Hagvoura, la journée annuelle commémorant les victimes de l'Holocauste. Il n'en a pas fallu davantage pour que des hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères établissent en off un parallèle entre l'étiquetage différencié des produits des colonies et le marquage au bras des déportés par les nazis.
Cet étiquetage a déjà été adopté par plusieurs pays, dont le Royaume-Uni, le Danemark et la Belgique. En 2013, lorsque Bruxelles envisageait de l’imposer à l’ensemble de l’UE, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, était intervenu après de Catherine Ashton, alors chef de la diplomatie européenne, pour lui demander d’attendre. Parce que le processus de paix entre Israël et l’Autorité palestinienne venait de reprendre et parce que Washington semblait croire à de possibles chances de succès.
Mais cela n'a pas été le cas. Et depuis, les relations entre Jérusalem et Washington se sont également refroidies en raison de l'opposition de Nétanyahou à la politique américaine de rapprochement avec l'Iran. «Autant dire que cette fois, "Bibi" ne pourra pas plus compter sur le soutien du Département d'Etat que de la Maison Blanche, lâche le chroniqueur politique Oudi Segal. Face à des Européens à bout de patience, Israël devra ramer tout seul pour défendre les produits de ses colonies, et les vents contraires s'annoncent violents.»