Alors que beaucoup d'ONG et d'associations de solidarité avec les migrants ont critiqué pour sa timidité le plan d'action européen annoncé jeudi, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a préféré positiver, en soulignant une «première étape importante». Tout en prévenant que, avec déjà plus de 1 700 morts en 2015, «ce qui attestera du succès de ces mesures, ce sera la baisse des pertes en vies humaines, l'accès effectif à la protection en Europe sans devoir traverser la Méditerranée, et un régime d'asile européen commun qui soit efficace». Les explications du représentant du HCR en France, Philippe Leclerc.
Que pensez-vous de ce plan d’action, qui prévoit le triplement des moyens de l’opération de surveillance des frontières Frontex, mais sans revenir à l’opération italienne de sauvetage Mare Nostrum ?
Il n’est pas à la hauteur du défi mais il représente au moins une prise de conscience collective des Vingt-Huit. On aurait souhaité des engagements plus forts, mais un processus est enclenché, avec un message assez clair : il faut faire beaucoup plus d’efforts pour sauver des vies. Beaucoup ont été perdues ces dernières semaines à cause de l’arrivée tardive des bateaux. Nous prenons les chefs d’Etat au mot, mais il faut que les actes suivent. Car si ce ne sont que des effets d’annonce, ce sera d’autant plus difficile à gérer pour les populations concernées et ceux qui tentent de les aider. Il faut éviter les réponses limitées comme après le précédent drame de Lampedusa, en 2013.
Peut-on accueillir plus de réfugiés ?
L’Europe évoque la possibilité de réinstaller 5 000 réfugiés. C’est une première expérience qui peut servir de base à une politique plus ambitieuse. Cet embryon de réponse collective va dans le bon sens. Car jusqu’à présent, nous n’avions que des réponses bilatérales : l’Allemagne avait accepté de prendre 20 000 Syriens en admission humanitaire, plus 10 000 en parrainages, la France 500 en 2014 et 500 en 2015…
Que préconisez-vous d’autre ?
Il faut renforcer les capacités d'accueil dans les pays de premier asile autour de la Syrie et de l'Erythrée (Soudan, Ethiopie). Ces programmes sont sous-financés actuellement. Or la Turquie est devenue le premier pays d'accueil au monde, avec 1,7 million de réfugiés, le Liban en héberge plus d'un million [soit près du quart de sa population, ndlr], la Jordanie plus de 600 000…
La destruction des bateaux de passeurs proposée par l’UE est-elle une solution ?
Bien sûr, il faut lutter contre les réseaux qui n’ont aucun respect de la vie humaine. Mais on ne peut pas détruire des bateaux si on n’offre pas par ailleurs des portes d’entrée légales, en étendant les critères de regroupement familial et d’asile, pour que les personnes puissent arriver autrement qu’en franchissant illégalement la Méditerranée. Il faut plus généralement inciter les Etats européens à s’engager sur des actes de solidarité et à répondre avec des politiques volontaristes plutôt qu’au coup par coup, tout en cherchant à fermer leurs frontières. Il faut qu’ils affrontent ces problèmes en restant fidèles à leurs valeurs.
Il y a un précédent…
En 1979, la France a accueilli plus de 100 000 «boat people» qui ne venaient pas de l’autre côté de la Méditerranée, mais de l’autre bout du monde, du Cambodge et du Vietnam. C’étaient les premières politiques de réinstallation : 1,3 million de personnes ont été accueillies dans les pays industrialisés. La situation syrienne, même si elle est différente, nécessite des réponses de ce type. On ne peut pas demander aux pays voisins de soutenir leurs efforts depuis quatre ans de guerre sans rien faire. Sinon, les conséquences peuvent affecter l’Europe.
L’Union européenne a un outil juridique à sa disposition, pour l’instant jamais appliqué…
La directive de 2001 sur la protection temporaire des réfugiés en cas d’afflux «massif» pourrait être une solution. Mais il faut un vote favorable de la moitié des Etats. Sinon, il faut s’en tenir à des solutions ad hoc, pays par pays, et renforcer les capacités d’accueil des pays les plus concernés (Italie, Grèce, Malte).
La France peine avec son système d’asile. Est-ce un frein ?
Le système est en crise, le diagnostic est unanime : il coûte cher, est engorgé et ne répond pas aux besoins des réfugiés. Il faut un système juste et efficace. 70% des demandes sont rejetées mais du fait de la longueur de la procédure, la majeure partie des personnes rejetées restent sur le territoire. Il faut dégager des places pour répondre à ceux qui en ont besoin et pas à ceux qui utilisent les travers du système pour rester le plus longtemps possible. Continuer avec un système aussi déficient, c’est mettre l’asile en péril. Même les Syriens subissent des conditions très difficiles, avec huit mois d’attente pour des personnes dont on sait que 91% sont acceptées. Il serait aussi utile de lancer une campagne de solidarité pour que les mairies et les conseils départementaux soient proactifs afin d’accueillir ces réfugiés. On voit des citoyens qui voudraient faire davantage, mais le système d’asile français est un boulet et les moyens budgétaires ne semblent pas suffisants pour mettre sa réforme en œuvre.